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passer à l’article du cœur, je dois dire quelque chose de l’amour-propre qui participe toujours de l’esprit et du cœur.

» Je suis né avec beaucoup d’amour-propre ; mais je sens que j’en ai perdu une partie, sans qu’il soit aisé aux autres de s’en apercevoir. Je ne dois paroître modeste qu’à ceux dont je ne me soucie pas. La franchise de mon amour-propre est une preuve de mon estime et de mon goût pour ceux à qui je le montre. J’ai là-dessus la confiance la plus maladroite. Je devrois savoir qu’on suppose toujours à un homme plus d’amour-propre qu’il n’en montre, et j’en montre quelquefois plus que je n’en ai. Par exemple, lorsque je crois qu’on veut me rabaisser, je me révolte, je crois devoir me rendre justice, je dis alors de moi tout ce que je pense et sens, et la contradiction me fait peut-être penser de moi plus de bien qu’il n’y en a.

» À l’égard de mon cœur, j’en parlerai comme de mon esprit. Je l’ai bon, et j’en ai la réputation ; mais il n’y a que moi qui sache jusqu’à quel point je suis un bon homme. Je suis très-colère, nullement haineux, et, ce qui est rare parmi les gens de lettres, sans jalousie : mes confrères mêmes le disent. Je ne suis pas grossier, mais trop peu poli pour le monde que je vois. Je n’ai jamais travaillé sur moi-même, et je ne crois pas que j’y eusse réussi. J’ai été très-libertin par force de tempérament, et je n’ai commencé à m’occuper formellement des lettres que rassasié du libertinage, à peu près comme ces femmes qui donnent à Dieu ce que le diable ne veut plus. Il est pourtant vrai qu’ayant fort bien étudié dans ma première jeunesse, j’avois un assez bon fonds de littérature que j’entretenois toujours par goût, sans imaginer que je dusse un jour en faire ma profession ».

Si l’on veut bien nous pardonner d’avoir développé un peu longuement un caractère qui n’étoit pas généralement connu, et qui méritoit de l’être, nous serions inexcusables de nous étendre sur des ouvrages que tout le monde a lus, et sur lesquels le public s’est fait une opinion à laquelle la nôtre n’ajouteroit et sur-tout ne changeroit rien. Nous nous contenterons de rapporter en peu de mots les suffrages les plus honorables donnés à ces différens écrits, et quelques particularités qui en composent, pour ainsi dire, l’histoire.