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comte de *** ayant remis les portraits à la mode, M. de Forcalquier-Brancas fit celui de Duclos, et Duclos s’en exprima ainsi : « On a fait de moi un portrait que j’ai trouvé trop flatteur[1] : cela m’a donné l’envie de me peindre moi-même. Je ne sais si le portrait sera vrai ; mais je suis sûr d’en avoir l’intention la plus sincère ». Or voici ce portrait que Duclos fit de lui-même ; tous ceux qui ont été à portée de voir l’original, en attestent l’extrême ressemblance. « Je me crois de l’esprit, et j’en ai la réputation ; il me semble que mes ouvrages le prouvent. Ceux qui me connoissent personnellement, prétendent que je suis supérieur à mes ouvrages. L’opinion qu’on a de moi à cet égard, vient de ce que dans la conversation, j’ai un tour et un style à moi, qui, n’ayant rien de peiné, d’affecté, ni de recherché, est à la fois singulier et naturel. Il faut que cela soit ; car je ne le sais que sur ce qu’on m’en a dit : je ne m’en suis jamais aperçu moi-même. Il n’est pas rare qu’on prenne, dès la première entrevue, l’opinion qu’on a de mon esprit. Je rougis dans le moment du témoignage que je me rends ; mais je le crois juste. Avant de

  1. Nous mettons ici le portrait de Duclos par M. de Forcalquier-Brancas :

    « L’esprit étendu, l’imagination bouillante, le caractère doux et simple, les mœurs d’un philosophe, les manières d’un étourdi. Ses principes, ses idées, ses mouvemens, ses expressions sont brusques et fermes. Emporté par les passions jusqu’au transport, il les abandonne dès qu’elles s’écartent du chemin de la probité. Il n’a pas besoin d’être ramené dans les voies honnêtes par les réflexions ; un instinct heureux, aussi sûr que ses principes, et qui ne le quitte pas même dans l’ivresse des sens, l’a conduit, sans jamais l’égarer, à travers l’écueil de toutes les passions. Il n’a que de l’amour-propre et point d’orgueil. Il cherche l’estime et non les récompenses. Il sait un gré infini à ceux qui le connoissent de bien sentir tout ce qu’il vaut. Il cherche par de nouveaux efforts à convaincre de la supériorité de ses lumières ceux qui n’en ont pas encore bien démêlé toute l’étendue ; mais il pardonne au sot de ne le pas faire ministre, aux seigneurs d’être plus grands que lui, aux gens de son état d’être plus riches. Il regarde la liberté dont il jouit comme le premier des biens, et les chaînes que son cœur lui donne sans cesse comme des preuves de cette liberté : c’est sous cette apparence qu’il les reçoit sans s’en apercevoir. Ce qui lui manque de politesse fait voir combien elle est nécessaire avec les plus grandes qualités : car son expression est si rapide et quelquefois si dépourvue de grâces, qu’il perd avec les gens médiocres qui l’écoutent ce qu’il gagne avec les gens d’esprit qui l’entendent ».