Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 1.djvu/35

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous engage à rapporter encore quelques anecdotes plus ou moins connues.

D’après tout ce que nous ayons dit jusqu’ici du ton de franchise et de liberté que Duclos mettoit dans ses discours, on a déjà pu présumer qu’il étoit tout à fait exempt de cette ridicule délicatesse qui interdit aux autres et se défend à elle-même tout propos un peu gai. C’est une remarque triviale à force d’être juste que cette décence de paroles est toujours en proportion de la licence de mœurs des siècles et des sociétés où elle règne ; et l’on diroit presque qu’il y a le même genre d’inconvénient à raconter des aventures lestes en présence de certaines femmes, qu’à parler de mauvaises affaires devant un homme qui a dérangé les siennes. Duclos pensoit donc que les femmes les moins vertueuses sont souvent celles qui s’offensent le plus des discours libres ; mais il pressoit peut-être un peu trop la conséquence contraire. Il disoit un jour à mesdames de Rochefort et de Mirepoix que les courtisanes devenoient bégueules, et ne vouloient plus entendre le moindre conte un peu vif. Elles étoient, disoit-il, plus timorées que les femmes honnêtes ; et là-dessus il entame une histoire fort gaie ; puis une autre encore plus forte ; enfin, à une troisième qui commençoit plus vivement encore, madame de Rochefort l’arrête, et lui dit : Prenez donc garde, Duclos ; vous nous croyez aussi par trop honnêtes femmes. Il parloit un jour devant cette même madame de Rochefort du paradis que chacun se fait à sa manière. Pour vous, Duclos, lui dit-elle, voici de quoi composer le vôtre : du pain, du vin, du fromage et la première venue. Cette saillie, dont il ne faut, comme de raison, prendre que l’esprit, peint d’une manière assez vraie la simplicité de goûts que Duclos portoit dans tous ses plaisirs, et qui provenoit en grande partie de sa complexion forte et de son excellente santé. Ceux qui raffinent tant sur les jouissances auroient souvent besoin de se les interdire tout à fait. Quant à lui, il avoit des sens fort exigeans, et il les satisfaisoit sans beaucoup de recherche ni de scrupule. Il avoit contracté dans sa jeunesse l’amour de la table et du vin qui n’étoit point encore exclu de la bonne compagnie ; et lorsqu’on l’en bannit, il demeura fidèle à ses premiers goûts, au risque de passer pour un homme de