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dicule que les gens qui ne font rien, se sont toujours plu à jeter sur ceux qui font beaucoup.

C’est ainsi que dans le monde on accuse de vouloir dominer dans la conversation et briller aux dépens des autres, ceux qui ont beaucoup d’esprit et le montrent. Duclos pouvoit moins que personne échapper à cette accusation. De tous les hommes que je connois, disoit d’Alembert, Duclos est celui qui a le plus d’esprit dans un temps donné. Cette phrase mathématique confirme ce qu’on a souvent dit de son genre de conversation. Il causoit moins qu’il ne parloit : pour lui l’entretien n’étoit pas une alternative de questions et de réponses, de discours et de silence ; c’étoit une succession rapide de saillies vives, de traits piquans, de mots tournés comme pour produire de l’effet et se graver dans la mémoire : tout cela exprimé avec une précision tranchante, débité d’un ton de voix élevé et mordant, et appuyé d’un geste court et significatif[1]. Duclos avoit montré de bonne heure du goût et du talent pour la dispute, et c’est peut-être sur cet indice que ses parens avoient cru trouver en lui de grandes dispositions pour la profession d’avocat ; mais dans la suite il renonça à la contradiction, quoiqu’il l’eût, dit-il lui-même, plus gaie qu’amère. Son opinion paroissoit arrêtée et sa phrase faite à peu près sur tout : dès qu’il avoit jeté son mot, il laissoit le champ libre à la controverse, et ne s’y engageoit pas. De pareilles formes de conversation, en repoussant la discussion et presque l’examen, sembloient commander la soumission aux esprits, et par conséquent blessoient l’amour-propre de beaucoup de gens. C’est là sans doute ce qui fit donner à Duclos, par un grand seigneur, la qualification de bavard impérieux[2]. Au surplus, ses ennemis eux-mêmes conviennent qu’à part le ton absolu et dominateur, son entretien étoit aussi agréable qu’instructif, attendu qu’il le montoit toujours sur quelque point intéressant, et y semoit une foule d’anecdotes curieuses. Il aimoit beaucoup les anecdo-

  1. Les idées se présentoient à lui avec tant d’abondance, dit M. Abeille, que s’il n’eût pas eu la phrase serrée, il eût été bègue.
  2. Un autre grand seigneur, auteur d’un mauvais livre, choqué apparemment de la liberté avec laquelle Duclos s’expliquoit sur les vices et les ridicules des gens de la cour, ne l’appeloit que ce Plébéien révolté.