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Le jeune homme qui aime l’objet le plus authentiquement méprisable, est bien loin de s’en douter. Il n’a peut-être pas encore attaché d’idée aux termes d’estime et de mépris ; il est emporté par la passion. Voilà ce qu’il sent ; je ne dirai pas : voilà ce qu’il fait ; car alors il ne fait ni ne pense rien, il jouit. Cet objet cesse-t-il de lui plaire, parce qu’un autre lui plaît davantage, il pensera ou répétera tout ce qu’on voudra du premier.

Mais dans un âge mûr, il n’en est pas ainsi : l’habitude est contractée ; on cesse d’aimer, et l’on reste attaché. On méprise l’objet de son attachement, s’il est méprisable, parce qu’on le voit tel qu’il est, et on le voit tel qu’il est, parce qu’on n’est plus amoureux.

Puisque notre intérêt est la mesure de notre estime, quand il nous porte jusqu’à l’affection, il est bien difficile que nous y puissions joindre le mépris. L’amour ne dépend pas de l’estime ; mais, dans bien des occasions, l’estime dépend de l’amour.

J’avoue que nous nous servons très-utilement de personnes méprisables que nous reconnaissons pour telles ; mais nous les regardons comme des instrumens vils qui nous sont chers, c’est-à-dire, utiles, et que nous n’aimons point ; ce sont ceux dont les personnes honnêtes paient le plus scrupuleusement les services, parce que la reconnoissance seroit un poids trop humiliant.