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des louanges qu’il donnoit assez rarement, et qu’au surplus il ne donnoit jamais qu’à ceux qui les méritoient bien ? N’est-il pas plus simple d’imaginer que, naturellement et habituellement brusque, il ne pouvoit s’empêcher de louer du même ton dont il blâmoit, et que ce n’étoit point sa faute si l’éloge gagnoit à cette singularité ?

Si Duclos savoit quelquefois renfermer, dans les bornes d’une sage circonspection, son zèle pour ses amis, et sa générosité envers les opprimés, à qui moins de prudence de sa part eût été souvent plus préjudiciable qu’à lui-même, il savoit aussi, dans certains cas et sur certaines matières, mettre un frein à la liberté de ses discours. Ce droit, qu’il s’étoit arrogé de dire hautement sa façon de penser, fut un jour ratifié solennellement par Louis XV, qui l’estimoit trop pour craindre qu’il n’en abusât. Un courtisan citoit devant ce prince un de ses propos sur lequel il fondoit sûrement l’espoir de lui nuire. Oh ! pour Duclos, dit le roi, il a son franc-parler. Duclos le sut, et il n’en fut ni plus ni moins hardi dans son langage.

C’est peut-être ici le cas de rappeler ses relations avec les écrivains du dernier siècle, qui se sont décorés eux-mêmes du nom de philosophes, nom que depuis on a voulu leur appliquer comme une flétrissure. Duclos, ami sincère de la vérité, dut d’abord se lier avec des hommes qui faisoient profession de la chercher. Il marcha long-temps sur la même ligne qu’eux ; long-temps il se para du même titre. Mais on abuse des meilleures choses ; les intentions les plus pures conduisent quelquefois aux plus coupables projets ; l’esprit de recherche et d’examen se change en une vaine et dangereuse curiosité, le doute raisonnable en amour effréné du problème et bientôt du paradoxe ; la hardiesse devient audace ; la liberté, licence ; on a ébranlé ce qu’on ne vouloit que sonder, on veut renverser ce qu’on a ébranlé. Après qu’on a dissous les plus solides principes en les soumettant imprudemment à l’analyse, on crée, on combine des élémens chimériques pour en former d’extravagants systèmes. Enfin, on veut détromper les autres de ce dont on se trouve désabusé, leur persuader ce dont on se croit convaincu ; on divulgue les erreurs qu’on pense avoir détruites, les vérités qu’on prétend avoir découvertes ; et cette divulgation est un crime lorsqu’elle tend à rompre le lien de la religion né-