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J’ai bientôt vu l’inutilité de mes efforts ; j’en ai abandonné le projet, et je me suis livré à mon caractère. Je ne connois personne plus sincère que moi ». Ailleurs il s’accuse d’être emporté et de manquer de politesse. On voit qu’il s’est rendu justice sur le mal comme sur le bien, et que sa franchise ne s’exerçoit pas seulement envers les autres. Aussi personne ne l’a révoquée en doute, hors M. de Vauxcelles qui prétend que sa brusquerie était de commande, et cite à l’appui de son opinion le propos d’un homme d’esprit, qui appeloit Duclos le Faux Sincère du nom d’une comédie célèbre de Dufresny. Cet homme d’esprit qui, de toute manière, pourrait bien être M. de Vauxcelles lui-même, auroit bien du dire sur quoi il fondait cette imputation. Mais c’est à quoi la malignité songe le moins. Cet homme à une vertu ; elle est fausse : un défaut ; il est joué. En a-t-on des preuves ? aucune. En inventera-t-on ? non ; cela est dangereux ; le mensonge ne doit point donner cette prise sur soi à la vérité : de plus cela est inutile ; les hommes ont trop de plaisir à croire le mal pour exiger qu’on le leur démontre. Que faire contre cette tactique perfide ? Comment détruire des allégations vagues qu’on ne sait par où saisir ? Nous l’ignorons ; et cette fois le silence tiendra lieu d’apologie.

Cependant, en cherchant ce qui auroit pu rendre suspecte la franchise, ou, si l’on veut, la brusquerie de Duclos, nous croyons en avoir trouvé une espèce de raison ; c’est que cette brusquerie n’étoit pas toujours chez lui l’accent du blâme, ou de la contradiction ; qu’elle étoit quelquefois celui de la louange, ou de l’assentiment ; et qu’alors elle sembloit servir à leur donner plus de force et de grâce. On en cite un exemple. Duclos, étant malade, appelle un médecin fameux, dont il ne goûtoit point l’esprit ni les manières, et contre lequel il s’étoit souvent déclaré dans la société, quoique d’ailleurs il fît grand cas de ses talens dans l’art de guérir. Ce médecin lui dit qu’il étoit très-flatté de sa confiance, mais qu’il n’en étoit pas moins surpris, ayant des raisons de croire qu’il ne lui étoit point agréable. Cela est vrai, répondit Duclos ; mais, pardieu ! je ne veux pas mourir. Sans doute un compliment, ainsi assaisonné, dut plaire plus qu’un autre ; mais faut-il croire pour cela que Duclos ait toute sa vie affecté la franchise et même la dureté, dans le dessein de rendre plus vraisemblables et plus piquantes