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neveu à la mode de Bretagne. M. de Vauxcelles rapporte que quelqu’un à qui il lut son testament[1], s’étonna de ce qu’il avoit préféré à ses autres héritiers ce M. de Noual qui avoit le moins d’esprit de tous, et même en manquoit absolument : Pourquoi, lui dit cet ami, n’avez-vous pas choisi M. *** qui est votre parent aussi proche ? C’est un homme d’esprit, répondit Duclos, qui mangeroit la succession. Cette préférence donnée à un sot pour conserver la succession, paroît à M. de Vauxcelles un trait assez bizarre. Duclos n’a point dit la véritable raison : il s’est tiré d’embarras, comme il a pu, par une saillie en effet un peu étrange, parce que l’honneur lui interdisoit de faire connoître le motif de prédilection très-particulier qui lui avoit fait nommer M. de Noual héritier de tous ses biens. Dans l’ordre de la nature, rien n’étoit plus juste que sa conduite. Nous n’en pouvons pas dire davantage.

Le caractère de Duclos étoit tout à la fois singulier et estimable. Comme, à ce double titre, il ne peut manquer d’intéresser nos lecteurs, nous allons le leur faire examiner avec quelque détail. On a déjà vu qu’il poussoit le courage de l’amitié jusqu’à l’imprudence, et que, presqu’avare de son bien pour lui-même, il en étoit prodigue envers les autres. De semblables qualités ne vont jamais seules : elles prouvent une belle âme et un bon cœur qui sont la source de nos plus nobles vertus. Duclos eut toutes celles d’un honnête homme ; il n’y mêla aucun vice ; on n’eut à lui reprocher que quelques légers travers.

Nous ne le louerions point de sa probité, s’il ne l’avoit portée à un point qui la rendit célèbre. Le défiant J.-J. Rousseau a dit : « Je dois à Duclos de savoir que la droiture et la probité peuvent quelquefois s’allier avec la culture des lettres[2] ». Les exemples n’en sont sûrement pas aussi rares que Rousseau le prétend ; mais plus il en restreint le nombre, plus il est honorable d’en faire partie. J.-J. définissoit encore Duclos un homme droit et adroit. Il se repen-

  1. Nous avons placé ce testament à la fin du dernier volume de cette collection. Les pièces de ce genre sont rarement piquantes. Celle-ci fait exception. Chaque disposition est, pour ainsi dire, un trait de caractère. Ce testament est une des choses qui font le mieux connoître Duclos.
  2. Confessions, liv. VIII, pag. 224, de l’édition de Kehl.