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ment suivi, tout sentiment raisonnable sont exclus des sociétés brillantes et sortent du bon ton. Il y a peu de temps que cette expression est inventée, et elle est déjà triviale, sans en être mieux éclaircie : je vais dire ce que j’en pense.

Le bon ton, dans ceux qui ont le plus d’esprit, consiste à dire agréablement des riens, et ne se pas permettre le moindre propos sensé, si l’on ne le fait excuser par les grâces du discours ; à voiler enfin la raison, quand on est obligé de la produire, avec autant de soin que la pudeur en exigeoit autrefois, quand il s’agissoit d’exprimer quelqu’idée libre. L’agrément est devenu si nécessaire, que la médisance même cesseroit de plaire, si elle en étoit dépourvue. Il ne suffit pas de nuire, il faut sur-tout amuser ; sans quoi le discours le plus méchant retombe plus sur son auteur que sur celui qui en est le sujet.

Ce prétendu bon ton, qui n’est qu’un abus de l’esprit, ne laisse pas d’en exiger beaucoup ; ainsi il devient dans les sots un jargon inintelligible pour eux-mêmes ; et, comme les sots font le grand nombre, ce jargon a prévalu. C’est ce qu’on appelle le persiflage, amas fatigant de paroles sans idées, volubilité de propos qui font rire les fous, scandalisent la raison, déconcertent les gens honnêtes ou timides, et rendent la société insupportable.