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gardé comme une justice rendue au mérite. Celui qu’on doit à l’inclination, moins honorable par lui-même, est ordinairement plus sûr que le premier. L’un et l’autre cèdent presque toujours à l’espérance ou à la crainte, c’est-à-dire à l’intérêt, puisque ce sont deux effets d’une même cause. Ainsi, quand ces différens motifs sont en concurrence, il est aisé de juger quel est celui qui doit prévaloir.

Les deux premiers ne sont pas communément fort puissans. On n’accorde qu’à regret au mérite ; cela ressemble trop à la justice, et l’amour-propre est plus flatté de faire des grâces. D’un autre côté, l’inclination détermine moins qu’on ne s’imagine à obliger, quoiqu’elle y fasse trouver du plaisir ; elle est souvent subordonnée à beaucoup d’autres motifs, à des plaisirs qui l’emportent sur celui de l’amitié, quoiqu’ils ne soient pas si honnêtes.

D’ailleurs, les hommes en place ont peu d’amis, et ne s’en embarrassent guère. L’ambition et les affaires les occupent trop pour laisser dans leur cœur place à l’amitié, et celle qu’on a pour eux, ressemble à un culte. Quand ils paroissent se livrer à leurs amis, ils ne cherchent qu’à se délasser par la dissipation. Ils deviennent des espèces d’enfans gâtés qui se laissent aimer sans reconnoissance, et qui s’irritent à la moindre