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de ses hôtes en seroit blessée avec raison ; tous refuseroient avec hauteur et dignité. Jusque-là il n’y a rien à dire. Mais je craindrois fort que quelques-uns de ceux qui rejeteroient avec le plus d’éclat le présent du ministre, ne lui empruntassent une somme pareille ou plus forte, avec un très-ferme dessein de ne jamais la rendre. Il peut y avoir là de la délicatesse ; mais je ne crois pas que ce soit de l’honneur.

Le surintendant de Bullion avoit déjà donné un exemple de ce magnifique scandale. Ayant fait frapper, en 1640, les premiers louis qui aient paru en France, il imagina de donner un dîner à cinq seigneurs de ses courtisans, fit servir au dessert trois bassins pleins des nouvelles espèces, et leur dit d’en prendre autant qu’ils voudroient. Chacun se jeta avidement sur ce fruit nouveau, en emplit ses poches, et s’enfuit avec sa proie sans attendre son carrosse ; de sorte que le surintendant rioit beaucoup de la peine qu’ils avoient à marcher. Le payement de quelques dettes de l’état eût également pu donner cours à ces premières espèces ; mais ce moyen n’eût pas été si noble au jugement de Bullion et de ses convives, que je ne crois pas devoir nommer par égard pour leurs petits-fils, qui, peut-être, loin de me savoir gré de ma discrétion, en rougiroient eux-mêmes, si je nommois leurs pères.