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est sans contredit le meilleur du volume, qui n’est guère qu’un ramas de sottises et de gravelures. On aura peine à concevoir comment Duclos, d’un esprit sage et réglé dans ses écrits, pouvoit prendre quelque goût à ces ridicules productions que d’Alembert appelle justement une crapule plutôt qu’une débauche d’esprit. Mais il étoit jeune alors, naturellement gai, comme l’attestent ceux de ses ouvrages où la gravité n’est pas de rigueur ; enfin il n’étoit point de ceux qui se rendent difficiles sur la manière de s’amuser[1].

Il paya assez cher le plaisir qu’il put trouver dans la société de ces messieurs. Ceux-ci, comme nous l’avons déjà fait entendre, auroient cru déroger aux bienséances du rang, s’ils eussent donné des ouvrages au public sous leur nom. Mais l’amour-propre littéraire, d’autant plus vif en eux qu’il étoit plus gêné par ces prétendues convenances, imaginoit toutes sortes d’expédiens pour se satisfaire. Ils commandoient à quelques écrivains qui avoient plus de talent que de fortune et de réputation, des romans et sur-tout des pièces de théâtre, qu’ils ne corrigeoient point assez pour les gâter tout a fait, mais auxquels ils faisoient assez de changemens pour que la vanité finît par leur persuader à eux-mêmes que l’ouvrage tenoit d’eux tout ce qu’il avoit de bon, et qu’en conséquence ils en étoient les véritables auteurs. Celui qui l’étoit réellement, payé de son travail avec plus ou moins de générosité et de délicatesse, n’osoit les démentir ; l’ouvrage se donnoit anonyme ; en cas de succès, on répandoit discrètement le bruit qu’il étoit d’un grand seigneur dont on ne confioit le nom qu’à l’amitié, et qui vouloit rester inconnu ; et le secret étoit recommandé tant de fois, que la chose devenoit entièrement publique. Tel étoit le manège qu’on employoit ordinairement ; mais Duclos n’étoit pas homme à s’y prêter : on s’y prit avec lui d’une autre manière. Soit qu’il ne connût pas encore ses forces, soit qu’il fût entraîné par l’exemple de la frivolité, soit enfin qu’il crût devoir préluder, par des compositions légères, à des ouvrages plus graves, Duclos avoit fait successivement trois romans : la

  1. Un exemple prouvera avec quelle facilité il se laissoit aller à un genre de gaîté qui n’étoit pas tout à fait le sien. Collé avoit fait une parade fort plaisante, intitulée, à ce que nous croyons, Léandre Hongre. Duclos, voulant exprimer son admiration pour ce chef-d’œuvre, dit à Collé, en style même de tréteaux : Léandre Hongre est le Cidre de la parade, et tu en es la Corneille.