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trio de Meyerbeer ; hors de la musique classique, point de salut.

J’assistais, il n’y a pas bien longtemps, chez des amis, à la lecture à première vue d’un quatuor pour instrument à cordes : l’allegro, l’andante et le minuetto réussirent tant bien que mal, et si l’on n’y goûta pas les nuances qui ne peuvent être données qu’à un morceau bien compris et bien su, du moins y eut-il ensemble et la note fut-elle faite ; mais ensuite arriva le scherzo : là, après un court sujet proposé par le violon, on devina instinctivement de loin l’approche de la fugue ; en effet, c’est bien elle. Mais bientôt, s’affranchissant des liens qui la retiennent, oubliant combien de dièzes sont écrits à la portée, elle cesse brusquement d’être tonale et se jette à corps perdu dans les modulations les plus imprévues et les plus ingrates pour l’oreille. Que font alors nos exécutants ? Le deuxième violon se perd dans la partie, sans rien comprendre à celles de ses voisins, et ne croit pas pouvoir mieux faire que de presser le mouvement ; le violoncelle régulateur de la mesure retarde par opposition, et le premier violon, qui sent que son second le serre de près et va bientôt lui marcher sur les talons, prend un galop précipité ; seul, l’alto plus aguerri cherche en vain à soutenir la retraite ; à chacune de ses entrées, son archet scie vigoureusement la corde, sa voix vibrante énumère tous les temps de la mesure, mais peine inutile, fuga fit cædes, sauve qui peut général, et après avoir bien couru, on s’arrête enfin, tous les fronts ruissellent, toutes les poitrines sont haletantes.

— « Monsieur, me demande tout ingénument la demoiselle de la maison, gracieuse jeune fille de quinze ans, est-ce que cette musique vous plaît ? Pour moi, elle ne m’amuse plus.

— « Ni moi non plus, assurément, Mademoiselle ; et j’ajouterai même que, le morceau serait-il convenablement su, il courrait encore la chance de nous ennuyer.