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HOMÈRE.


Du chant XIe de l’Odyssée.


Je ne m’étonne point qu’on ait taxé d’interpolation certains épisodes de l’Iliade et de l’Odyssée, qui semblaient peu achevés, et qui pouvaient passer pour les œuvres d’une main vulgaire. L’évocation des morts, suivant quelques critiques, serait une interpolation, et mériterait par conséquent de disparaître de l’Odyssée. Voilà ce que je ne saurais admettre. Je rappellerai d’abord que c’est peut-être, de toutes les parties des poëmes homériques, celle que les anciens ont le plus souvent citée, sans que jamais aucun soupçon leur soit venu à l’esprit contre son authenticité. Je dis ensuite que ce chant est un des plus beaux de l’Odyssée, un des plus riches de couleur et de poésie, et que l’interpolateur eût été un insensé de noyer ainsi une œuvre de génie dans l’océan d’Homère.

On sent l’âme d’Homère dans ces paroles qu’adresse à Ulysse l’ombre de sa mère Anticlée : « Ni Diane aux flèches assurées ne m’a tuée dans ma demeure, en me frappant de ses traits soudains, ni aucune maladie n’est venue consumer tristement mon corps et m’enlever la vie. C’est le regret de ne te plus voir, c’est l’inquiétude de ton sort, illustre Ulysse, c’est le souvenir de ta tendresse pour moi, qui m’a ravi la douce existence[1]. » C’est bien le génie d’Homère qui a disposé la scène si dramatique et si saisissante de l’évocation ; c’est bien au plus grand des peintres qu’on doit tous ces tableaux qui se déploient aux yeux d’Ulysse. Quel autre poëte qu’Homère eût pu décrire, avec cette naïveté et cette énergie, la mort d’Agamemnon : « Neptune n’a point submergé mes vaisseaux, dit l’ombre du roi des rois ; il n’a point soulevé contre moi l’impétueux souffle des vents terribles ; des ennemis ne m’ont point frappé sur la terre dans un combat. C’est Égisthe qui a comploté ma mort, et qui m’a assassiné à l’aide de ma criminelle épouse. Il m’a convié à un festin dans sa maison, et j’ai été tué comme le bœuf qu’on assomme sur la crèche. Voilà de quelle mort pitoyable j’ai péri. Autour de

  1. Odyssée, chant XI, vers 198 et suivants.