Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
81
HOMÈRE.

l’œuvre est égale à la conception, le réel à l’idéal ; et l’on sent que le poëte, comme Dieu après la création, n’a pas été mécontent de ce qui était sorti de ses mains. Chacun des deux poëmes est une sorte de petit monde, un ensemble harmonieux, où se sont fondus, dans je ne sais quelle mystérieuse unité, pensées, sentiments, images, expressions, tout enfin, jusqu’à l’accent des syllabes, jusqu’au son des mots. Le poëte est roi dans cet univers. Rien n’y est rétif à sa volonté ; la langue poétique est une matière qui se prête, sans nul effort, à tous les besoins de sa pensée, à tous les caprices même de son imagination. Il en crée à l’infini les formes exquises ; en vertu des règles d’un goût infaillible, que ne gênent ni la tyrannie souvent absurde de l’usage, ni les mesquines prescriptions des grammairiens. Les mots ondoient, pour ainsi dire, sous le rhythme, qui les presse sans les enchaîner. On les voit s’allonger et se raccourcir au gré de la cadence, sans rien perdre jamais ni de leur merveilleuse clarté, ni de leur énergie expressive. La phrase a la limpidité du flot, comme elle en a la fluidité. Elle est courte d’ordinaire, et bornée à deux ou trois vers : les longues périodes ne se rencontrent guère que dans les comparaisons, où l’unité de pensée produit naturellement l’unité de phrase malgré la variété des détails poétiques, et aussi dans ces discours où le souffle de la passion entraîne et soutient le personnage qui parle, sans lui permettre les pauses répétées de la diction commune. Nulle part on ne sent ces artifices que les rhéteurs enseignent comme les secrets du beau style. Les termes se placent d’eux-mêmes, simplement, uniformément, dans leurs rapports naturels ; rien ne vise à l’effet, rien n’est sacrifié en vue de ces surprises qu’aiment les esprits blasés ; le poëte ne se fait faute ni de reproduire les mêmes tournures, ni de répéter les mêmes mots, quand l’idée le commande, que dis-je ? des vers entiers, de longues tirades même. Il ne court point après la vérité factice, et il ne craint ni l’ennui ni la satiété du lecteur : naïveté qui n’est qu’un charme de plus, et que le goût dédaigneux de quelques-uns n’a point assez prisée. On paye toujours trop cher ce qu’on achète au prix de la vérité ; et la recherche