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HOMÈRE.


Descriptions d’Homère.


Homère ne décrit jamais pour décrire, en quelque détail qu’il se plaise quelquefois à descendre. Il lui suffit de peu de vers pour peindre le frais séjour de Calypso : « Une forêt verdoyante entourait la grotte ; c’était l’aune, le peuplier et le cyprès odorant. Des oiseaux aux larges ailes y faisaient leur nid, chats-huants, éperviers, corneilles marines croassantes, attentives à ce qui se passe sur les flots. La grotte profonde était tapissée d’une vigne en plein rapport, toute chargée de raisins. Quatre fontaines, jaillissant proche l’une de l’autre, roulaient leurs eaux limpides de quatre différents côtés. Sur leurs bords fleurissaient de molles prairies, émaillées de violette et d’ache. Un immortel même, en approchant de ces lieux, admirerait ce spectacle, et se réjouirait dans son cœur[1]. » Les jardins d’Alcinoüs sont presque aussi brièvement décrits. Le poëte se préoccupe, avant toute chose, de l’homme et de sa destinée, de ses sentiments et de ses passions. Il ne devient intarissable que s’il s’agit des œuvres de l’industrie humaine, ou des merveilles façonnées par la main de Vulcain. Il ne fait point l’anatomie de la nature extérieure ; les traits principaux lui suffisent. Le monde est beau à ses yeux ; mais c’est surtout parce que l’homme y vit et y donne à toute chose signification et valeur. Ce qu’il voit dans la tempête, ce ne sont pas seulement des éclairs sillonnant la nue, des tonnerres retentissant dans l’espace, des flots qui montent dans les airs, des abîmes qui s’ouvrent béants : c’est l’homme qui l’intéresse ; c’est Ulysse dont il note les plaintes, et qu’il suit avec amour de vague en vague jusque sur la côte d’Ogygie, jusque sur le rivage de l’île des Phéaciens. Tableaux, comparaisons, images ne sont pour lui qu’accessoires, et relèvent toujours de l’âme et de la pensée. S’il peint les Troyens veillant autour de leurs feux sur le champ de bataille, ce qui le frappe, c’est bien moins encore l’aspect du bivouac, le clair-obscur de la scène,

  1. Odyssée, chant V, vers 63 et suivants.