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CHAPITRE IV.

jestueuse et simple, sublime et familière, rien de ce qui est humain ne lui est étranger ni indifférent : souvent même, ainsi que telle de ses héroïnes, on la voit rire et pleurer tout à la fois. Ses personnages parlent le langage qu’ils doivent parler, franc, libre, énergique, toujours conforme à la situation, sans fausse pudeur, sans fard et sans apprêt. Patrocle brise d’un coup de pierre le crâne de Cébrion, qui menait les chevaux d’Hector, et il s’écrie avec un ricanement, en le voyant tomber du char : « Grands dieux, que voilà un homme agile ! comme il fait bien son plongeon ! Oui, s’il était quelque part sur la mer poissonneuse, il pourrait rassasier de sa pêche de nombreux convives, en s’élançant du navire pour chercher des huîtres, même par un temps d’orage ; car voyez comme en plaine il fait bien son plongeon du haut d’un char ! Certes, les Troyens, eux aussi, ne manquent pas de plongeurs[1] ! » Cette image comique et cette bizarre ironie peignent la farouche satisfaction de Patrocle assez vigoureusement, j’imagine, sinon conformément aux règles des genres, inventées tant de siècles après Homère. Ce n’est pas moi qui me plaindrai qu’Homère n’ait pas connu ces règles ; car je ne sache guère à mettre en parallèle avec cette exclamation, pour la sauvage énergie du sentiment et de l’expression, que les paroles de Diomède à Pâris, qui vient de le blesser : « Je m’en soucie comme si le coup venait d’une femme ou d’un enfant sans raison. Il est sans pointe, le trait d’un lâche, d’un homme de rien. C’est autre chose, certes, sous ma main : si peu qu’il atteigne, mon trait est aigu, à l’instant il fait un mort. La femme du guerrier se déchire les deux joues, et ses enfants sont orphelins. Lui, rougissant la terre de son sang, il pourrit, et il a autour de lui plus d’oiseaux de proie que de femmes[2]. »

Le vieux Phoenix, un des députés envoyés pour apaiser Achille, rappelle au héros des souvenirs de sa première enfance : « Et c’est moi qui t’ai fait ce que tu es, Achille égal aux dieux ; car je t’aimais de cœur. Tu ne voulais ni aller à

  1. Iliade, chant XVI, vers 745 et suivants.
  2. Ibid., chant XI, vers 389 et suivants.