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HOMÈRE.

Patrocle est étendu sur la terre ; et l’on combat autour de son corps dépouillé : quant à ses armes, elles sont au pouvoir du vaillant Hector. »

« Il dit ; et un noir nuage de douleur enveloppe Achille. Des deux mains il prend de la cendre ; il la répand sur sa tête, il en souille son gracieux visage ; elle noircit de tous côtés sa tunique divine. Lui-même il était étendu sur la poussière, couvrant de son grand corps un grand espace, et de ses propres mains il dévastait impitoyablement sa chevelure. Les femmes qui le servaient, ces captives qui étaient la part d’Achille et de Patrocle dans le butin, sont saisies d’un violent désespoir et poussent de grands cris. Elles se précipitent hors des tentes, elles environnent le belliqueux Achille. Toutes elles se frappent la poitrine de leurs mains ; toutes elles sentent leurs genoux se dérober sous elles. Antilochus, de son côté, gémissait, versait des larmes, tenait les mains d’Achille. Achille poussait des soupirs du fond de son cœur généreux, car il craignait qu’Hector ne tranchât avec le fer la gorge du cadavre ; et ses sanglots retentissaient avec un bruit terrible[1]. »


Caractère d’Ulysse.


Le caractère d’Ulysse n’offre pas le spectacle de ces tempêtes intérieures. Ce n’est plus la lutte des passions violentes contre des instincts plus nobles, l’éternel combat de l’homme et du héros. Ulysse est en paix avec lui-même ; mais des dieux courroucés lui ont déclaré la guerre. La lutte est entre eux et lui. Ce qu’il lui faudra braver, c’est le danger sous tous les aspects, et c’est sur les puissances de la nature déchaînées par les dieux que le héros remportera ses plus éclatantes victoires. Ulysse, dans l’Iliade, est déjà ce que nous le retrouvons dans l’Odyssée, l’homme sage entre tous, avisé, fécond en ruses et en utiles conseils, le type enfin de l’activité intelligente, sinon de la vertu austère. Mais le malheur aiguisera encore ses facultés, et montrera dans toute son énergie cette fermeté industrieuse qui ne se rebute et ne se

  1. Iliade, chant XVIII, vers 2 et suivants.