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HOMÈRE.

les dieux qui jouent un rôle actif dans les épopées homériques. Homère a été longtemps pour la Grèce le théologien par excellence. Sa gloire religieuse n’a commencé à pâlir que devant le vrai Dieu, celui que les philosophes ont trouvé au fond de la conscience humaine, celui d’Anaxagore, de Socrate et de Platon ; elle ne s’est éclipsée qu’à la lumière du christianisme.

Quant aux héros, Homère les peut revendiquer comme siens à plus juste titre encore que ses dieux.


Caractère d’Achille.


Le caractère d’Achille est le triomphe du génie d’Homère. Achille est à la fois un héros et un homme ; et c’est là ce qui fait l’intérêt profond de l’Iliade. La passion l’aveugle ; il voue aux Grecs une haine impitoyable ; son désespoir, à la mort de Patrocle, la fureur de vengeance qui le saisit, son acharnement contre Hector, toutes ces faiblesses d’une âme imparfaite, nous en sentons le germe en nous ; et les accents du poëte qui les raconte vibrent jusqu’au fond de nos entrailles. Mais, d’un bout à l’autre du poëme, l’âme d’Achille va se purifiant, et grandit d’un progrès continu : la partie divine de cette puissante nature se dégage peu à peu des nuages de la passion et de la colère, et brille à la fin de tout son natif éclat. L’homme s’est évanoui, et c’est le héros seul qui reste.

Achille s’écrie, le premier jour de la querelle, en regardant face à face le roi des rois : « Ivrogne aux yeux de chien, au cœur de cerf, jamais tu n’as eu le courage de t’armer pour la guerre en même temps que le peuple, ni d’aller en embuscade avec les plus braves des Achéens : cela te semble la mort même. Certes, il vaut bien mieux aller, par la vaste armée des Achéens, enlever le butin de ceux qui ont pu te contredire. Roi qui dévores le peuple ! mais c’est que tu commandes à des hommes de rien ; sinon, Atride, ton outrage d’aujourd’hui eût été le dernier[1]. » Rappelé plus tard à lui-même par

  1. Iliade, chant I, vers 225 et suivants.