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CHAPITRE IV.

à Chios. Ce qui est manifeste, même à la simple lecture de ses poëmes, c’est qu’il appartient à la Grèce d’Asie, à ce monde fortuné où se développèrent, avec une énergie si puissante, les éléments féconds apportés par toutes les familles de la race hellénique. Homère était Ionien de naissance, à en juger par mille traits significatifs. On sait, par exemple, quel rôle considérable joue dans les poëmes homériques Minerve, ou Pallas Athéné, la grande déesse des Ioniens. Il n’y a, chez Homère, aucune trace de certaines coutumes, de certains usages introduits dans la Grèce par les Doriens, tandis qu’il en a enregistré d’autres, particuliers aux cités ioniennes : ainsi la division en phratries et l’existence de la classe des thètes. Un Spartiate remarque, dans les Lois de Platon, qu’Homère a peint une société ionienne, bien plus que la manière de vivre des Lacédémoniens. Voyez d’ailleurs avec quelle exactitude géographique le poëte parle, même en passant, de lieux situés dans l’Ionie du nord et dans la Méonie voisine, c’est-à-dire dans les contrées où la tradition des Smyrnéens assignait sa naissance : « Les Méoniens avaient pour chefs Mesthlès et Antiphus, tous deux fils de Taléménès, tous deux enfantés par le lac Gygée, et qui menaient les Méoniens, nés au pied de Tmolus[1]. » Et ailleurs : « Ta race est près du lac Gygée, là où se trouve ton domaine paternel, non loin de l’Hyllus poissonneux et de l’Hermus aux flots tournoyants[2]. » Et encore : « Maintenant, quelque part au milieu des rochers, dans les montagnes désertes, sur le Sipyle, là où sont, dit-on, les retraites des nymphes divines qui dansent le long des rives de l’Achéloüs ; là, toute pierre qu’elle est, Niobé ressent les douleurs dont l’affligèrent les dieux[3]. » Tous ces noms, tous ces détails qui s’accumulent comme d’eux-mêmes, toutes ces images qui servent à caractériser les objets, témoignent qu’Homère connaissait ces contrées autrement qu’en voyageur. Je sens là comme une sorte de retour involontaire vers les scènes du pays natal, comme un souvenir des impressions du jeune âge. On pourrait justi-

  1. Iliade, chant II, vers 864 et suivants.
  2. Ibid., chant XX, vers 390 et suivants.
  3. Ibid., chant XXIV, vers 390 et suivants.