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HOMÈRE.


Qu’il n’y a eu qu’un Homère.


La différence des deux sujets explique la différence de caractère qui existe dans les deux poëmes ; et l’art plus savant, si l’on veut, dans l’Odyssée que dans l’Iliade, prouve seulement que l’auteur de l’Odyssée avait été forcé de tirer des ressources de son génie beaucoup plus que n’avait dû faire l’auteur de l’Iliade, pour soutenir jusqu’au bout l’attention du lecteur, toujours si prompte à défaillir. Il est faux parfaitement de dire que les sentiments des héros et des héroïnes de l’Iliade sont d’un ordre moins élevé, d’une pureté moins idéale que ce que nous admirons dans l’Odyssée. Andromaque, à mon avis, ne le cède point à Pénélope ; et l’Hélène de l’Iliade n’est pas indigne, tant s’en faut, de l’aimable femme qui reçoit Télémaque dans son palais. Les guerriers de l’Iliade ne sont pas toujours des saccageurs de villes et des tueurs d’hommes. Les mortels plus pacifiques de l’Odyssée ne sont pas tous des modèles de vertu ; et plus d’une fois nous surprenons en eux, même chez les plus sages, des passions qui ne sont pas très-civilisées, des appétits quelque peu sauvages. En définitive, c’est le même homme dans les deux poëmes, mais vu sous deux aspects divers, là dans sa vie guerrière, ici dans sa vie sociale. L’étude morale de l’homme est, il est vrai, plus étendue dans l’Odyssée, plus approfondie, plus réfléchie peut-être. Mais il serait étrange qu’il n’en fût pas ainsi, et qu’une épopée comme l’Iliade, où tout est action, et que remplissent des récits de batailles, contint tous les enseignements qui abondent dans l’épopée du foyer domestique et de la paix. Qui empêche d’ailleurs d’admettre, avec la tradition antique, que l’Iliade fut la production de l’âge viril du poëte, et l’Odyssée l’œuvre de sa puissante vieillesse, alors qu’il avait beaucoup vécu et qu’il avait vu, comme son héros, les villes de beaucoup de peuples et étudié leur esprit ; alors qu’il devait se plaire et aux méditations intérieures et aux histoires sans fin ? Est-il d’ailleurs permis d’affirmer que les hommes de l’Odyssée connaissent des arts dont il n’y aurait pas trace dans l’Iliade, ou que les arts dont il est question