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CHAPITRE IV.

pour moi une double jouissance de trouver un homme si grand et tous les autres si justes. »


Analyse de l’Odyssée.


Horace, dans l’Art poétique, après avoir cité un vers du début de je ne sais quelle épopée sur la guerre de Troie, cite en regard, et comme contraste, les deux premiers vers de l’Odyssée, dont il loue vivement la netteté, la simplicité, le ton parfait, l’exquise convenance. Un peu plus loin, il ajoute : « Le poëte, pour dire le retour de Diomède, ne remonte pas jusqu’à la mort de Méléagre, et il ne raconte point la guerre de Troie en commençant par les deux œufs de Léda. Toujours il se hâte au dénoûement. Il entraîne tout d’abord le lecteur au milieu même des choses, supposant qu’on sait de quoi il s’agit. Ce qu’il désespère de pouvoir faire reluire en y appliquant la main, il le laisse ; et il met tant d’art dans ses fictions, il entremêle si bien le vrai avec le faux, que jamais dans le poëme il n’y a discordance, du début au milieu, du milieu à la fin[1]. » Ce n’est donc point à Horace qu’il eût fallu adresser cette question, qui est en effet passablement étrange : L’Odyssée a-t-elle un plan ? est-elle l’œuvre d’un seul poëte ? Il est vrai qu’Horace n’avait pas lu les Prolégomènes de Wolf. Et pourtant, en dépit de Wolf et de ses Prolégomènes, l’Odyssée, ainsi que l’Iliade et beaucoup plus encore que l’Iliade, prouve un poëte, comme l’univers prouve un Dieu.

Dans l’Iliade, les parties se suivent simplement, selon l’ordre chronologique, pendant le temps que dure l’action racontée. Ce n’est pas le poëte seul qui nous raconte le retour d’Ulysse : c’est de la bouche du héros que nous apprenons les vicissitudes qui ont agité sa vie depuis son départ de l’île de Calypso. Quand le poëme commence, il y a bien des années déjà que Troie est prise, et qu’Ulysse tâche en vain d’atteindre le rivage de sa chère Ithaque, et de voir s’élever, comme parle Homère, la fumée de la terre natale. Pénélope

  1. Horace, Art poétique, vers 146 et suivants