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CHAPITRE IV.

viens; mais elle est dessous, comme parle Otfried Müller : supprimez cette idée, et tout le poëme s’écroule, et tous les événements perdent leur signification. Les épisodes mêmes ne sont jamais, quoi qu’on en ait dit, des hors-d’œuvre : qu’on retranche, par exemple, l’entretien d’Andromaque et d’Hector l’épopée subsistera toujours, mais amaigrie, trop réduite, déjà déformée. Les épisodes, d’ailleurs, ne ressemblent nullement à de petites épopées ayant eu jadis une existence par elles-mêmes avant d’être enchâssés dans l’Iliade. Ils ne forment jamais un tout complet. A chaque instant, presque à chaque vers, ils fourmillent d’allusions aux faits qu’on a dû lire avant d’arriver à ces prétendus poëmes. Sans les épisodes, l’Iliade serait encore l’Iliade : sans l’Iliade, les épisodes ne sont rien.

Ainsi nous n’avons pas même besoin de recourir à l’hypothèse imaginée par l’historien Grote. L’Iliade est ce qu’elle doit être, ce qu’elle a été de tout temps, et non pas une Achilléide à laquelle on aurait ajouté plus tard une dizaine de morceaux empruntés à quelque autre épopée, dont le siège de Troie était proprement le sujet. Grote compare l’Iliade à un édifice bâti d’abord sur un plan resserré, et qui s’est agrandi par des additions successives. Il n’admet, dans le plan original, que le premier chant, le huitième, le onzième et les suivants, jusqu’au vingt-deuxième inclusivement, et, à la rigueur, le vingt-troisième et le vingt-quatrième. On vient de voir si l’Iliade est un Louvre ou un Fontainebleau, et si l’édifice suppose la main de plus d’un architecte.

La Harpe, qui ne mérite pas toujours d’être cité quand il écrit sur les anciens, a trouvé au moins une fois des accents dignes du sujet : c’est quand il parle de l’Iliade et de l’art incomparable qu’y déploie Homère :

«  Je voyais avec regret, je l’avoue, dit le critique, que les combats allaient recommencer après l’ambassade des Grecs ; et je me disais qu’il était bien difficile que le poëte fit autre chose que de se ressembler en travaillant toujours sur le même fond. Mais quand je le vis tout à coup devenir supérieur à lui-même, dans le onzième chant et dans les suivants ; s’élever d’un essor rapide à une hauteur qui semblait s’ac-