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CHAPITRE LI.

ventures sans vérité, sans vraisemblance, sans rien qui se rapporte à aucun temps ou à aucun lieu particulier. Les mœurs que peint Héliodore ne sont pas moins fausses et imaginaires. Quant aux combinaisons dramatiques, en quoi consiste tout l’intérêt de la fable, elles n’ont pas dû coûter à l’auteur de grands efforts d’esprit. Il s’est borné à entasser dans son livre les inventions éparses à travers les œuvres des poëtes anciens, et surtout des poëtes de la Comédie nouvelle : pirates, brigands, combats, enlèvements, captivités, reconnaissances, etc. Malgré le mouvement qu’il se donne, Héliodore n’aboutit guère qu’à être ennuyeux. Mais notre vieux Amyot l’a gratifié de ce style naïf et charmant qui ferait lire des écrits plus mauvais encore que les Éthiopiques.


Longus.


Longus a eu le même bonheur qu’Héliodore ; il a été traduit par Jacques Amyot. Longus, dont l’époque est inconnue, est un des écrivains les plus sophistiques et les plus affectés qu’il y ait. Il n’a d’autre souci que le jeu des mots et des syllabes ; son récit pastoral ne lui est qu’une matière à sentences et à descriptions ; la vérité des tableaux l’occupe infiniment moins que leur vivacité et leur éclat. Le roman de Daphnis et Chloé est un livre mal composé, où tout est faux, aventures, mœurs, caractères, style surtout ; je dis le livre de Longus ; mais tous ces défauts ou s’atténuent ou disparaissent, dans la prose exquise du vieux traducteur français. Un original plus que médiocre, un ouvrage spirituel sans doute, mais dénué de naturel et de grâce, indécent et obscène plutôt que voluptueux, est devenu, sous la main d’Amyot, non pas un livre bien chaste, mais un tableau plein de charme et d’agrément. Paul-Louis Courier, qui a complété et corrigé la version d’Amyot, a eu le bon esprit de n’en point altérer la physionomie, et de comprendre que Longus serait presque illisible s’il était reproduit autrement que sous ce costume gaulois qui dissimule ou transforme ses imperfections.