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PHILOSOPHES ALEXANDRINS.

son exemple, il leur montre le salutaire effet d’un commerce journalier avec les maîtres de l’art. Que d’éloquence, en effet, dans sa manière de commenter les mouvements sublimes d’Homère et de Démosthène ! Que d’élévation dans cette image où il représente les écrivains de génie comme un tribunal à la fois encourageant et sévère, auquel nous devons, par la pensée, soumettre nos œuvres, pour savoir si elles seront dignes de la postérité ! Voilà ce que Fénelon louait tant chez Longin, le talent d’échauffer l’imagination en formant le goût : c’est le talent de Cicéron dans ses admirables dialogues sur l’art oratoire ; c’est ce goût inspiré, qui vient du cœur autant que de l’esprit, et qui fait aimer autant qu’admirer le critique. Une chose y manque peut-être ; je veux dire cette haute correction et cette simplicité de style, privilége heureux des siècles classiques. » Le passage de Longin que j’ai cité à propos du discours pour Ctésiphon peut donner une idée de la manière vive et passionnée du philosophe, et des qualités brillantes, trop brillantes même parfois, de son esprit et de son style.

Nous attachons au mot sublime une signification fort différente de celle du mot beau. Les philosophes modernes ont insisté avec raison sur la différence des jugements en vertu desquels nous prononçons que telle chose est belle, que telle autre est sublime ; et la pénétrante analyse de Kant a marqué scientifiquement la borne qui les sépare. Le sentiment du beau est un plaisir doux, calme, sans mélange ; celui du sublime est une émotion d’une nature sévère, mêlée de plaisir et de peine, de satisfaction et de trouble, quelque chose enfin de sérieux et de triste. Voici comment s’exprime à ce sujet M. Jules Barni, le savant interprète de la Critique du Jugement : « Rapprochons les jugements que nous portons sur le beau et ceux que nous portons sur le sublime. Les premiers supposent une certaine harmonie de nos facultés : la contemplation d’une chose belle satisfait également les facultés qu’elle met en jeu, les sens et l’esprit, ou, comme dit Kant, l’imagination et l’entendement. Les seconds, au contraire, supposent une sorte de disconvenance entre nos facultés : dans la contemplation du sublime, l’imagination est abattue,