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OPPIEN. BABRIUS.


Originalité de Babrius.


Ce serait un travail impossible que de chercher jusqu’à quel point Babrius fut un fabuliste original, puisque rien ne reste, ou presque rien, des œuvres de ces poëtes, sans doute fort nombreux, qui s’étaient exercés dans l’apologue depuis le temps d’Ésope jusqu’au siècle d’Auguste. Nul doute que Babrius ne se soit borné d’ordinaire, comme avait fait le fabuliste latin avant lui, à puiser dans la riche matière jadis importée d’Orient, grossie et enrichie par Ésope et par maint autre, et dont les débris forment encore aujourd’hui un total de quatre ou cinq cents sujets d’apologues. Cependant il y a telle fable dont Babrius semble avoir été l’inventeur même, et non pas seulement l’élégant et spirituel rédacteur. En voici une très-jolie, la cinquante-septième du recueil[1], qui lui a été inspirée sans nul doute par quelque mésaventure qu’il avait éprouvée en voyageant dans les contrées infestées par les Arabes pillards : « Mercure, ayant rempli un chariot de mensonges et de ruses de mille sortes, et de toutes les coquineries qu’il y ait, parcourait le monde, passant de peuple en peuple successivement, et distribuant à chaque homme une petite portion de sa marchandise. Il arrive dans le pays des Arabes. Là, son chariot, dit-on, se brise en chemin, et s’arrête court. Les Arabes pillent le bagage du marchand, comme si c’était un riche trésor. Le chariot est vidé ; Mercure ne peut plus continuer son trafic, non qu’il eût faute d’hommes à visiter encore. Depuis ce temps, les Arabes, et j’en ai fait l’expérience, sont fourbes et imposteurs ; et il n’y a pas sur leur langue un seul mot de vérité. »

Quelques-uns mettent Babrius au-dessus de Phèdre, c’est-à-dire au-dessus de tous les poëtes fabulistes connus, un seul excepté. Je crois qu’il est plus juste de le placer sur le même rang que Phèdre, ou même un peu au-dessous. Si Babrius l’emporte en général par la sévérité de la versification, par

  1. Le Chariot de Mercure et les Arabes.