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CHAPITRE XLVII.

vait-elle avoir, elle qui est entrée deux fois dans la caverne du lion ? » Cette fable du Lion malade a plus de cent vers, et il serait difficile d’y relever un seul mot qui sente l’affectation et le mauvais goût. On n’eût pas plus purement écrit, ni avec plus d’esprit et de finesse, au temps d’Aristophane ou de Ménandre.

Il n’y a, dans Babrius, qu’un très-petit nombre de fables dont le sujet nous fût inconnu avant la découverte du manuscrit. Quelques Byzantins, comme Tzetzès, Ignatius Magister, Planude, qui nous ont laissé des collections de fables ésopiques arrangées ou défigurées par eux en prose ou en vers, avaient mis largement à contribution le recueil de Babrius : ils n’ont fait souvent que briser son mètre, et effacer les ionismes qui ornaient sa diction attique ; ou bien, quand ils ne le traduisaient pas en prose, ils ont réduit à quelques vers, bien ou mal tournés, la matière de chacun de ses apologues. Plusieurs des fables inconnues sont fort médiocres ; mais il y en a une au moins qu’on peut ranger parmi les meilleures du poëte. C’est la deuxième du recueil, le Laboureur qui a perdu son Hoyau : « Un laboureur, faisant des fosses dans sa vigne, perdit son hoyau. Il s’enquérait si quelqu’un des paysans qui étaient par là ne le lui aurait point dérobé. Tous disaient que non. Ne sachant que faire, notre homme les conduisit tous à la ville, pour leur déférer le serment. Car on croit qu’il n’habite aux champs que des dieux un peu bonasses, et que ceux qui sont dans l’intérieur des murs sont des dieux véritables, et qui ont l’œil à tout. Quand ils eurent passé la porte, et comme ils se lavaient les pieds à la fontaine après avoir déposé leurs besaces, ils entendirent le héraut criant qu’il compterait mille drachmes à qui donnerait des renseignements sur des objets volés dans le temple du dieu : « Oh ! oh ! dit notre homme en entendant ceci, j’ai fait un sot voyage ! Comment le dieu connaîtrait-il les voleurs des autres, lui qui ne sait pas ceux qui l’ont dépouillé, et qui cherche à prix d’argent si personne lui en peut fournir nouvelles ? »