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OPPIEN. BABRIUS.


Qualités et défauts des Fables de Babrius.


Babrius est un très-bon versificateur, souvent même un bon poëte. Car, il faut bien le dire, tout n’est pas or dans la trouvaille de Mynas. Il y a des fables dont le style est obscur et recherché, ou dont la conclusion morale est loin d’être satisfaisante. Tel apologue est puéril ; tel autre n’est pas assaisonné d’un sel bien attique ; tel autre n’est qu’un conte licencieux, qui n’a rien de commun avec l’apologue. Enfin Babrius se répète assez souvent d’une fable à l’autre, et il traite jusqu’à trois fois le même sujet, en se bornant à changer les personnages : ainsi il nous peint et la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, et le lézard qui veut avoir la longueur du serpent, et le milan qui veut imiter le hennissement du cheval. Mais le bon l’emporte sur le mauvais dans le recueil, et l’excellent n’y est pas rare. Plusieurs pièces sont de petits chefs-d’œuvre. La plus longue de toutes est aussi une des plus belles : c’est celle où Babrius conte les stratagèmes du renard pour amener la biche dans l’antre du lion malade[1]. Les discours de maître renard sont admirables. La Fontaine lui-même ne l’eût pas fait beaucoup mieux parler. On conçoit que la biche s’y soit laissé prendre, même après qu’elle avait senti la griffe du lion sur son oreille, et qu’elle n’avait dû la première fois son salut qu’à une fuite rapide. Elle suivit une seconde fois le beau diseur, et elle s’en trouva mal. Le lion eut le festin qu’il avait manqué d’abord. Voici les derniers traits de l’apologue : « Le pourvoyeur était là, brûlant d’avoir part à la curée. Le cœur de la biche vient à tomber, il s’en saisit furtivement : ce fut le salaire de ses peines. Cependant le lion, ayant compté chacun des viscères, cherchait le cœur, qu’il préférait entre tous ; et il fouillait tous les coins de sa couche et de son antre. Mais le renard, lui donnant adroitement le change : « Elle n’en avait point, dit-il ; ne cherche pas en vain. Quel cœur[2] pou-

  1. C’est la fable xcv, le Lion malade.
  2. Le mot καρδία signifie tout à la fois le cœur et l’intelligence, l’esprit, le bon sens.