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CHAPITRE IV.

un coup de dés, ait rassemblé toutes les lettres précisément dans l’arrangement nécessaire pour décrire, dans des vers pleins d’harmonie et de variété, tant de grands événements ; pour les placer et pour les lier tous si bien ensemble ; pour peindre chaque objet avec tout ce qu’il a de plus gracieux, de plus noble et de plus touchant ; enfin pour faire parler chaque personne selon son caractère, d’une manière si naïve et si passionnée ? Qu’on raisonne et qu’on subtilise tant qu’on voudra, jamais on ne persuadera à un homme sensé que l’Iliade n’ait point d’autre auteur que le hasard. »

Cette argumentation, au dix-septième siècle, semblait irréprochable, même à Fénelon, c’est-à-dire à un des hommes qui ont le mieux connu l’antiquité. Nul ne contestait alors l’unité de l’Iliade ou de l’Odyssée, ni l’art qui avait présidé à la composition de ces ouvrages. Mais tout a bien changé depuis. Ce n’est pas ce raisonnement de Fénelon qui aurait démontré à Vico l’existence de Dieu, puisque Vico niait précisément la personnalité d’Homère. Frédéric-Auguste Wolf en eût été touché bien moins encore. Les Grecs, suivant lui, n’avaient appris que tard à former un ensemble poétique, à composer de vrais poëmes. Tout était hasard dans la naissance de l’Iliade et de l’Odyssée : elles s’étaient formées successivement de la réunion de chants d’abord distincts, et qui étaient l’œuvre des membres divers d’une même famille d’aèdes ; elles n’étaient devenues ce que nous les voyons que par le travail des siècles, et surtout par la compilation faite au temps de Pisistrate. Lachmann, un des disciples de Wolf, a même essayé de déterminer le nombre des morceaux primitifs qui avaient servi à fabriquer l’Iliade. Il en a reconnu seize, ni plus ni moins ; et il propose, en vertu de sa découverte, une nouvelle division du poëme en seize chants, pour faire droit aux seize Homères qui ont à y revendiquer leur part respective. Aujourd’hui, surtout en France, les wolfiens purs sont assez rares ; mais il ne manque pas de personnes, même dans notre pays, qui tiennent encore pour article de foi tel ou tel des paradoxes sur lesquels repose le système. Eh ! n’avons-nous pas vu le bonhomme Dugas-Montbel, un traducteur d’Homère, demander