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LUCIEN.

ressortir l’absurdité de ces misérables inventions ; mais, quand on retrouve dans Diogène quelques-unes des conceptions les plus incroyables de Lucien, et une foule d’autres qui ne leur cèdent guère en extravagance, l’excursion à la lune, le voyage aux enfers, avec l’historique des lieux, les hommes qui ne voient que la nuit, les charmes qui font mourir chaque jour et ressusciter au soleil couchant, on est forcé de reconnaître que la moisson de rêves fantastiques était assez riche pour qu’il n’eût qu’à élaguer et à choisir. » Au reste, Lucien a choisi avec un tact parfait ; et sa burlesque odyssée est une lecture on ne peut plus agréable et piquante. L’ouvrage n’a guère qu’un défaut, c’est d’être incomplet : il s’arrête à la fin du deuxième livre, là même où l’auteur en annonce plusieurs autres, qui devaient contenir le récit de ses aventures après son naufrage sur le continent des antipodes. Mais la principale gloire de Lucien romancier c’est d’avoir fourni à Rabelais et à Swift quelques-unes des idées, et non pas les moins originales, qu’on admire dans Gargantua et dans les Voyages de Gulliver.


Poésies de Lucien.


Lucien, sans être un grand poëte, faisait des vers agréables. Parmi ses épigrammes, disséminées à travers l’Anthologie, il y en a une où il parle lui-même du recueil de ses œuvres : « C’est Lucien qui a écrit ceci, savant dans les choses antiques et censeur des sottises. Car c’est sottise, même ce qui semble sage aux hommes. Les hommes n’ont aucune pensée fixe et certaine : ce que tu admires, d’autres en font risée. » On voit que Lucien ne songeait nullement à déguiser son scepticisme. Il s’en fait gloire comme de son premier titre à l’estime des amis de la vérité, ou, si l’on veut, des ennemis du mensonge et de l’universelle hypocrisie. Je n’ai pas cité cette épigramme comme la meilleure pièce du petit bagage poétique de Lucien. Plus d’une autre l’emporte infiniment sur celle-là, et par la pensée, et par le tour, et par l’expression. Elles sont, pour la plupart, assez mordantes et malicieuses, et elles mériteraient fort bien le non d’épigrammes, au sens