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CHAPITRE XLV.

l’Asie Mineure. Enfin il se fixa en Égypte, où l’empereur Marc-Aurèle lui avait assigné d’importantes fonctions administratives et judiciaires. C’est à Alexandrie probablement qu’il mourut, dans les premières années du règne de Commode. Avant d’arriver aux honneurs, il avait déjà acquis fortune et renom. Ses écrits étaient avidement dévorés, et on lui payait des prix considérables pour ces leçons et ces déclamations qu’il faisait sur son passage, à la manière des sophistes et des rhéteurs du temps. Après avoir raconté le songe qui avait déterminé, disait-il, sa vocation littéraire, il ajoute : « Tel qui aura entendu le récit de mon songe sentira, j’en suis sûr, le courage renaître dans son âme. Il me prendra pour exemple ; il réfléchira à ce que j’étais, lorsque j’entrai dans la carrière et me livrai à l’étude sans rien redouter de la pauvreté qui me pressait alors ; et il voudra m’imiter, en voyant en quel état je suis revenu vers vous, non moins illustre qu’aucun sculpteur, pour ne rien dire de plus[1]. »


Scepticisme de Lucien.


Quelques-uns ont avancé, mais sans preuves, que Lucien avait embrassé la foi chrétienne, et qu’il avait ensuite apostasié. On voit au contraire, par les écrits mêmes de Lucien, que le christianisme était à peu près pour lui lettres closes. Il n’en a qu’une connaissance très-imparfaite, très-vague, et qui ne se sent guère des instructions que recevaient alors les catéchumènes. Il va jusqu’à prétendre que les chrétiens avaient fait de Pérégrinus leur pontife, leur législateur et leur dieu. Il représente les chrétiens comme une tourbe imbécile, qui se laisse duper par le premier charlatan venu : « Ces malheureux, dit-il, croient qu’ils sont immortels, et qu’ils vivront éternellement. En conséquence, ils méprisent les supplices, et ils se livrent volontairement à la mort. Leur premier législateur leur a persuadé qu’ils sont tous frères. Dès qu’une fois ils ont déserté notre culte, ils renient les dieux grecs et adorent ce sophiste crucifié dont ils suivent

  1. Lucien, Songe ou Vie, à la fin.