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CHAPITRE XLIV.

secret : rien ne les ruine davantage que de les produire. Il ne se lasse point de répéter que toute l’étude et le désir de l’homme doivent être de connaître la volonté de Dieu et de la suivre. Telles étaient les lumières de ce grand esprit, qui a si bien connu les devoirs de l’homme. Heureux s’il avait aussi connu sa faiblesse ! »


Arrien.


Épictète n’avait rien écrit lui-même ; mais Arrien, un de ses disciples, a rédigé, sous le titre de Manuel, un abrégé des doctrines morales d’Épictète, et il a recueilli dans un ouvrage considérable, intitulé Dissertations, les leçons et les conversations de ce grand philosophe. Le Manuel et les Dissertations sont des chefs-d’œuvre, non pas seulement par la noblesse et la vérité des pensées, mais par la mâle beauté d’un style simple, clair, correct, énergique, et qui n’est dénué ni d’élégance ni même de grâce. Arrien avait pris Xénophon pour modèle ; et les Dissertations rappellent, sans trop de désavantage, les Mémoires de Socrate. On y trouve même quelquefois des choses sublimes. C’est là, par exemple, qu’est ce dialogue de Vespasien et d’Helvidius Priscus, où l’âme humaine atteint à des proportions presque divines : « Ne va pas au sénat. — Il dépend de toi que je ne sois pas sénateur ; mais, tant que je le suis, il faut que je me rende aux délibérations. — Eh bien ! soit, vas-y ; mais n’y dit mot. — Ne me demande pas mon avis, et je me tairai. — Mais il faut que je te le demande. — Et moi, il faut que je dise ce qui me paraît juste. — Mais, si tu parles, je te ferai périr. — Quand donc t’ai-je dit que je fusse immortel ? Tu feras ce qui est ton affaire, et moi ce qui est la mienne. La tienne est de tuer : la mienne, de périr sans crainte ; la tienne est d’exiler : la mienne, de partir sans regret[1]. »

Arrien n’était pas seulement un excellent écrivain philosophique, il fut encore un des meilleurs historiens de l’antiquité. Son Histoire de l’Expédition d’Alexandre, en sept livres,

  1. Dissertations, livre I, chapitre i, paragraphe 19.