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CHAPITRE XLIII.

Démosthène. Il se met quelquefois avec lui-même dans des contradictions manifestes. Tout cela est avéré, et d’autres péchés sans doute que j’oublie dans le nombre. Mais que ne pardonne-t-on pas à un écrivain qui sait nous prendre, et à chaque instant, par le cœur et par les entrailles, et qui ne cesse jamais de nous enchanter, même quand ce qu’il conte semble le plus vulgaire ou le plus futile ? « Plutarque, dit J. J. Rousseau, excelle par les mêmes détails dans lesquels nous n’osons plus entrer. Il a une grâce inimitable à peindre les grands hommes dans les petites choses ; et il est si heureux dans le choix de ses traits, que souvent un mot, un sourire, un geste, lui suffit pour caractériser son héros. Avec un mot plaisant, Annibal rassure son armée effrayée, et la fait marcher en riant à la bataille qui lui livra l’Italie. Agésilas, à cheval sur un bâton, me fait aimer le vainqueur du Grand-Roi. César, traversant un pauvre village et causant avec ses amis, décèle, sans y penser, le fourbe qui disait ne vouloir être que l’égal de Pompée. Alexandre avale une médecine et ne dit pas un seul mot : c’est le plus beau moment de sa vie. Aristide écrit son propre nom sur une coquille, et justifie ainsi son surnom. Philopœmen, le manteau bas, coupe du bois dans la cuisine de son hôte. Voilà le véritable art de peindre. La physionomie ne se montre pas dans les grands traits, ni le caractère dans les grandes actions : c’est dans les bagatelles que le naturel se découvre. Les choses publiques sont ou trop communes ou trop apprêtées ; et c’est presque uniquement à celles-ci que la dignité moderne permet à nos auteurs de s’arrêter. »

Le style historique de Plutarque n’est pas un très-grand style. C’est, comme dit Thomas, la manière d’un vieillard plein de sens, accoutumé au spectacle des choses humaines, qui ne s’échauffe ni ne s’éblouit, dont l’admiration est calme, dont le blâme évite les éclats. Il va, s’arrête, revient, suspend le récit, répand sur sa route les digressions et les parenthèses. À proprement parler, Plutarque n’est point un narrateur. C’est un ami qui s’entretient avec un ami au sujet d’hommes fameux et d’événements mémorables.