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PLUTARQUE.

blessé, qu’elle attend pour mourir ! Combien d’autres descriptions d’une admirable énergie ! Et, à côté de ces brillantes images, quelle naïveté de détails vrais, intimes, qui prennent l’homme sur le fait, et le peignent dans toute sa profondeur en le montrant avec toutes ses petitesses ! Peut-être ce dernier mérite, universellement reconnu dans Plutarque, a-t-il fait oublier en lui l’éclat du style et le génie pittoresque ; mais c’est ce double caractère d’éloquence et de vérité qui l’a rendu si puissant sur toutes les imaginations vives. En faut-il un autre exemple que Shakespeare, dont le génie fier et libre n’a jamais été mieux inspiré que par Plutarque, et qui lui doit les scènes les plus sublimes et les plus naturelles de son Coriolan et de son Jules César ? Montaigne, Montesquieu, Rousseau, sont encore trois grands génies sur lesquels on retrouve l’empreinte de Plutarque, et qui ont été frappés et colorés par sa lumière. Cette immortelle vivacité du style de Plutarque, s’unissant à l’heureux choix des plus grands sujets qui puissent occuper l’imagination et la pensée, explique assez le prodigieux intérêt de ses ouvrages historiques. Il a peint l’homme, et il a dignement retracé les plus grands caractères et les plus belles actions de l’espèce humaine. »


Ouvrages historiques de Plutarque.


Ces compositions ont pourtant leurs défauts, et même des défauts assez graves. Les Vies ne sont presque jamais des biographies complètes ; et l’historien laisse trop souvent dans l’ombre les faits même les plus considérables, ou ne leur donne pas toute la place qu’ils devraient avoir. Ses préoccupations morales ou dramatiques lui font oublier quelque peu les droits imprescriptibles de la vérité, qui veut être dite tout entière. Plutarque, qui écrivait rapidement et sans beaucoup de critique, laisse échapper de temps en temps des erreurs matérielles, surtout en ce qui concerne Rome et ses institutions : il interprète souvent à faux le sens des auteurs latins d’où il tire ses documents. Souvent aussi il préfère, soit insouciance ou défaut de jugement, des autorités suspectes comme il a fait dans le récit de la prétendue corruption de