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CHAPITRE XLIII.

des grands hommes dont il a peint les images. Mais son premier traducteur, le vieux Jacques Amyot, a contribué pour une large part à sa renommée. Amyot n’était pas un écrivain vulgaire. Le Plutarque d’Amyot est vivant ; et il n’est pas d’auteur, dans notre langue, qui soit plus Français que ce Grec mort en Béotie il y a dix-huit siècles.

L’idée sur laquelle reposent les Parallèles ou Vies comparées rappelle les thèses factices des écoles de rhéteurs. Mais rien n’est moins sophistique, rien n’est moins d’un rhéteur que l’exécution de ce plan, qui nous semble d’abord si bizarre ; et le lecteur est entraîné, bon gré mal gré, par le charme étrange répandu non pas dans les récits seulement, mais dans ces comparaisons mêmes qui suivent chaque couple de Vies, où deux héros, un Grec et un Romain, sont rapprochés trait pour trait, confrontés en vertu d’un principe uniforme, et pesés au même poids.

Je lis partout ces mots, le bon Plutarque. Mais cette épithète ne convient qu’au Plutarque français d’Amyot ; non point même proprement, mais par l’effet de l’illusion de naïveté que font sur nous cette langue et ce style, vieux de trois siècles. Plutarque est un écrivain sans fard et sans apprêt, heureusement doué par la nature, et qui répand à pleines mains tous les trésors de son âme. C’est un homme de bonne foi ; c’est le Montaigne des Grecs, comme le caractérise excellemment Thomas. Il a même quelque chose de cette manière pittoresque et hardie de rendre les idées et de cette imagination de style, qui donnent tant de prix aux Essais. Nul historien n’a excellé comme lui à reproduire les traits des personnages historiques, je dis surtout les traits de leur âme ; à les peindre, à les faire vivre, agir et marcher. Les poëtes dramatiques n’ont eu qu’à le copier, pour tracer de saisissantes et immortelles figures.

« Quels plus grands tableaux, dit M. Villemain, que les adieux de Brutus et de Porcie, que le triomphe de Paul-Émile, que la navigation de Cléopâtre sur le Cydnus, que le spectacle si vivement décrit de cette même Cléopâtre, penchée sur la fenêtre de la tour inaccessible où elle s’est réfugiée, et s’efforçant de hisser et d’attirer vers elle Antoine, vaincu et