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CHAPITRE III.

les lois de l’hospitalité. Ce ne sont pas les mots signes funestes qui me semblent décisifs : ils veulent dire seulement un moyen de reconnaissance, comme cela est manifeste quand Iobatès, un peu plus loin, demande à voir le signe apporté de la part de Prœtus, et que Bellérophon lui montre le signe fatal. Le signe, c’était la lettre elle-même, la tablette bien pliée sur laquelle Prœtus avait écrit tant de détestables choses. Argumenter sur la vague expression de signes funestes, c’est donc sortir de la question, c’est parler du contenant et non pas du contenu. On dit que la lettre était écrite en caractères symboliques, idéographiques ; mais on le dit uniquement à cause du mot signe mal interprété, et qui n’exprime pas plus ici des caractères symboliques qu’une écriture phonétique. Il s’agit de savoir si la longue lettre de Prœtus était ou un tableau figuré à la manière des hiéroglyphes, ou un écrit dans le sens ordinaire de ce mot. On affirme gratuitement que c’étaient des hiéroglyphes. Je serais en droit d’affirmer, même sans preuve, que c’était un écrit en lettres alphabétiques.

Mais l’hypothèse que je combats n’est pas seulement gratuite, elle est contraire à toute probabilité, et même à toute vraisemblance. Quoi ! tous les peuples congénères de la nation grecque se servent de l’écriture phonétique depuis des milliers d’années, et la Grèce l’ignore ! Quoi ! un système complet de symboles, capable d’exprimer tous les sentiments, toutes les pensées, et de suffire aux besoins d’une correspondance entre parents, disparaît tout d’un coup sans laisser un vestige, ni même le moindre souvenir ! Toute la Grèce quitte subitement un antique usage à un certain jour, pour adopter, sans réclamation aucune, un usage étranger ! Mais les peuples qui se servent d’une écriture symbolique ne la quittent guère, quels qu’en soient les inconvénients. Les Égyptiens ont conservé leurs hiéroglyphes avec une invincible obstination, en dépit même de la conquête, rejetant et l’alphabet punique des Hycsos, et l’alphabet cunéiforme des Perses, et les alphabets perfectionnés des Grecs et des Romains : s’ils finirent par écrire comme tout le monde, c’est quand il n’y eut plus d’Égypte ni de peuple égyptien que dans l’histoire. Les Chinois ne sont pas près d’échanger