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LITTÉRATURE SICILIENNE.

tige, il viendra soudain de lui-même se poser sur ta tête. »

Les vers que j’ai cités de la complainte sur la mort de Bion sont les meilleurs de Moschus. On a pu remarquer, à côté des accents d’une douleur vraie et bien sentie, une certaine emphase et je ne sais quoi de forcé. D’ailleurs, l’idylle est bien loin d’être un chef-d’œuvre. Moschus, pleurant son maître et son ami, a été moins bien inspiré que Bion pleurant un héros imaginaire. Mais peut-être le modèle qu’il avait sous les yeux a-t-il nui plutôt qu’aidé à la perfection de son poëme. Bion avait montré toute la nature en deuil à la mort d’Adonis, les Amours se lamentant, puis Vénus, puis les Grâces, puis les Muses ; mais c’est la douleur des Amours, surtout celle de Vénus, qui remplit presque toute l’idylle. Moschus nous peint à son tour un deuil universel ; mais ici l’énumération n’en finit pas. Avant d’arriver à ces traits d’éloquence et de sentiment que j’ai notés, il faut passer à travers les gémissements et les soupirs, non-seulement des Muses siciliennes, non-seulement de Phœbus, non-seulement des rossignols et des cygnes, mais des abeilles et des hirondelles, mais des brebis et des dauphins, mais des arbres et des fleurs, des vallons et des montagnes, et, comme on l’a vu, des fleuves eux-mêmes.

Il y a, outre la complainte en l’honneur de Bion, trois idylles entières, l’Amour fugitif, Europe, Mégare femme d’Hercule. La première est un signalement de l’Amour, fait par Vénus. Il me semble que cette mère connaît et dépeint beaucoup trop bien les défauts et la malice de son enfant ; et, si le portrait est vrai, on peut remarquer que ce n’était point à Vénus de le faire. Je crois aussi que Moschus eût pu se dispenser de faire dire à Vénus que le flambeau de l’Amour embrase le soleil lui-même. Europe est un morceau beaucoup plus développé, et écrit non plus en langue dorienne mais en dialecte épique. C’est le récit de l’enlèvement de la fille d’Agénor. Mais les préliminaires du récit sont d’une longueur disproportionnée. Le poëme entier n’a que cent soixante et un, ou, selon quelques éditeurs, cent soixante-deux vers ; et Jupiter n’aperçoit Europe qu’au vers soixante-quatorzième,