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CHAPITRE XXXIX.

place dans ce qui a péri ; et ce n’est pas sans raison que Moschus donnait à Bion le titre de berger, et qu’il tenait sur lui-même le langage qu’on vient d’entendre.

La première idylle de Bion, qui a près de cent vers, et qui passe pour son chef-d’œuvre, est une complainte sur la mort du bel Adonis. Ce poëme est gracieux et touchant, plein de sentiments doux et d’attendrissantes images. Il y a même une scène vraiment pathétique, et qui a fourni au Tasse un de ses tableaux les plus admirés. Vénus arrive près d’Adonis mourant, comme Herminie près de Tancrède ; et l’expression de la douleur et du désespoir d’une amante n’est guère moins poignante et vraie dans les vers du poëte grec que dans ceux du grand poëte italien. Cependant il y a plus d’un trait, plus d’un mot, qu’eût effacés Théocrite, s’il avait écrit l’idylle de Bion. Il y en a jusque dans le discours que Bion prête à Vénus. Ce n’est pas Théocrite qui eût fait dire à la déesse : « Ma ceinture a péri avec toi. » L’idée est juste ; mais Théocrite l’eût présentée autrement, et sous une image moins recherchée. Aussi, quel que soit le charme de ce poëme, je ne puis m’empêcher de préférer d’autres morceaux où le langage de Bion est plus simple, et où le goût, même sévère, n’a rien à désavouer. Tel est le fragment de l’idylle qui était intitulée Épithalame d’Achille et de Déidamie ; telle est surtout la deuxième idylle, que je vais transcrire en entier : « Un oiseleur encore tout jeune, qui chassait aux oiseaux dans un bocage épais, aperçut le volage Amour perché sur la branche d’un buis. Ravi à la vue de cet oiseau, qui lui apparaissait si grand, il réunit ensemble tous ses gluaux, et il se mit à guetter l’Amour, qui voltigeait çà et là. Mais bientôt l’enfant se dépite du peu de succès de ses efforts : il jette ses gluaux, et il s’en va trouver un vieux laboureur, qui lui avait enseigné l’art de la pipée. Il lui conte son aventure, il lui montre l’Amour perché sur la branche. Mais le vieillard hoche la tête, et répond à l’enfant : « Suspends ta chasse, et n’attaque pas cet oiseau. Fuis loin de a lui, car c’est une bête dangereuse. Tu seras heureux tant que tu ne l’auras pas pris ; mais, quand tu auras atteint l’âge d’homme, cet oiseau, qui maintenant fuit et vol-