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CHAPITRE XXXIX.

faut-il que si peu de noms soient venus s’ajouter au sien dans la liste des poëtes de génie enfantés par la Grèce ?


Bion et Moschus.


Bion et Moschus, dont on rapproche quelquefois les noms de celui de Théocrite, n’ont pas manqué de talent, mais ils ont trop souvent manqué de naturel et de simplicité. Leurs grâces sont souvent affectées ; et l’esprit, chez eux, remplace quelquefois le sentiment. Mais quelquefois aussi ils ne sont pas indignes du poëte qu’ils avaient pris pour modèle. Théocrite, qui put lire leurs ouvrages, et qui était leur ami, leur reprocha sans doute les ornements dont ils aimaient à parer leur style ; il dut regretter que leur muse délaissât trop les champs, ou qu’elle songeât trop, dans la ville, aux applaudissements des gens raffinés. J’imagine pourtant qu’il dut trouver beaucoup à louer dans ces vers si bien faits, et dans cette diction qui rappelle si heureusement la sienne. Bion et Moschus, malgré leurs défauts, font véritablement honneur à la poésie dorienne et à la Sicile.

Bion n’était pas Sicilien ; mais il avait passé sa vie à Syracuse. C’est par Moschus que nous savons où il était né, et comment il est mort. Dans sa lamentation funèbre sur Bion : « Voici pour toi, s’écrie-t-il, ô le plus harmonieux des fleuves ! une seconde douleur ; voici une nouvelle douleur, ô Mélès ! Tu perdis autrefois Homère, le doux interprète de Calliope ; et tu pleuras cet illustre fils par le gémissement de tes flots, et tu remplis la mer entière de tes plaintes. Maintenant tu verses des larmes sur un autre de tes fils, et tu te consumes dans un récent chagrin[1]. » Ainsi Bion était de Smyrne, et probablement d’origine ionienne. La contrée où il vécut, surtout les exemples et les succès de Théocrite, expliquent suffisamment pourquoi il n’écrivit pas dans la langue de sa ville natale, et comment Moschus a pu lui donner le surnom d’Orphée dorien. Il est probable que Bion ne parvint pas à un grand âge, car il périt empoisonné : « Le poison est venu, ô

  1. Moschus, Idylles, III, vers 71 et suivants.