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CHAPITRE XXXVIII.

sagacité, c’est à toi de suivre la trace obscure des énigmes, et de trouver par quelle voie directe une marche savante conduit à la vérité qui est dans l’ombre. Pour moi, ayant détaché la corde du stade, j’entre dans le récit des discours prophétiquement ténébreux, en m’élançant vers la première borne comme un agile coureur[1] ! » Sur quoi un savant et spirituel critique remarque que le soldat de Lycophron sait le bon effet des images dans la poésie, et que Cassandre elle-même ne pratique pas mieux que lui l’art de la métaphore et de la comparaison. Le même critique dit judicieusement qu’il eût fallu du moins qu’on sentît, en passant du soldat à la prophétesse, la différence du langage militaire et de la parole inspirée. C’est ainsi qu’il fût résulté, de l’arrangement imaginé par Lycophron, une sorte d’opposition piquante entre la vulgarité du personnage qui raconte et les raffinements de pensée et de style qui remplissent le récit.

M. Dehèque passe condamnation sur ce point et sur bien d’autres. Il confesse que plusieurs des inventions poétiques de Lycophron sont insensées, et surtout l’histoire du séjour d’Hercule dans le ventre d’une baleine. Connaissez-vous, en effet, rien de plus grotesquement ridicule que ceci : « Hélas ! hélas ! malheureuse nourrice, livrée aux flammes, comme autrefois par la flotte et l’armée du lion des trois nuits, qui disparut dans la large gueule du chien de Neptune ! Là, vivant, tandis qu’il hachait les entrailles du monstre, brûlé dans le ventre de cette marmite, sur ce fourneau sans feu, il vit tomber la chevelure de sa tête, lui, le meurtrier de ses enfants, le fléau de sa famille[2]. » M. Dehèque ne prend pas davantage sous sa protection les bizarreries du style de son auteur, et il ne fait pas plus grâce que moi à ce parti pris d’obscurité, à ces archaïsmes, à ces tours inusités, à tout ce qu’on a de tout temps reproché à Lycophron. Il se rabat avec complaisance sur le mérite scientifique du poëme, j’allais dire du traité ; et il rappelle le mot du docte Canter, qui proclamait la lecture de l’Alexandra une des plus utiles qu’on pût faire

  1. Lycophron, Alexandra, vers 1 et suivants.
  2. Lycophron, Alexandra, vers 31 et suivants.