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CHAPITRE XXXVII.

ordinaire. Au reste, Timon le sillographe laissa bien loin derrière lui les essais du philosophe de Gadares, et demeura dans son genre un modèle inimitable.


Cléanthe.


Cléanthe fut un homme d’un esprit bien différent. Il était né à Assos en Éolie, vers l’an 310 environ, et il était assez connu déjà quand Timon écrivit les Silles, pour avoir sa place dans cette curieuse galerie de portraits : « Quel est ce bélier qui parcourt les rangs, ce lourd citoyen d’Assos, ce grand parleur, ce mortier, cette masse inerte ? » Ce philosophe d’un extérieur si peu avantageux avait une grande âme et un beau génie. Il avait commencé par exercer le métier d’athlète ; puis la pauvreté l’avait réduit à se mettre au service des jardiniers d’Athènes. Il connut Zénon, et il s’éprit de l’amour de la philosophie. Il passait la nuit dans les jardins, à tirer de l’eau et à arroser les plantes ; le jour, il allait entendre Zénon, et travaillait à suppléer par l’étude au défaut de son éducation première. Il fut, après Zénon, le chef du Portique, et il vécut jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans, ou, selon quelques-uns, de quatre-vingt-dix-neuf ans.

Les ouvrages en prose composés par Cléanthe devaient être remarquables par les agréments du style. Au moins le philosophe ne s’interdisait-il pas les vives images, les allégories, les tableaux à la manière de Platon et du premier Aristote. J’en juge ainsi d’après la page que Cicéron lui a empruntée, où l’on voit la Volupté assise sur un trône, et les vertus réduites à la servir, obéissant à tous ses commandements, n’ayant d’autre affaire, se hasardant tout au plus à lui donner tout bas quelques conseils. Admirable résumé du système moral d’Épicure, et qui en fait vivement saillir aux yeux les erreurs et les absurdités. Mais ce n’est point par conjecture que nous voyons dans Cléanthe un vrai poëte. L’hymne en vers épiques adressé à Jupiter, dont je vais transcrire le commencement et la fin, est quelque chose de mieux encore qu’un précieux monument de la philosophie stoïcienne ; c’est l’œuvre sublime d’un poëte inspiré :