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LES RHAPSODES.

présent comment l’auditeur est le dernier de ces anneaux qui reçoivent, comme je disais, les uns des autres la vertu que leur communique la pierre d’Héraclée ? Toi, le rhapsode et l’acteur, tu es l’anneau du milieu : le premier anneau, c’est le poëte lui-même. »


Transmission des compositions poétiques.


Les chants des aèdes religieux n’étaient jamais de bien longue haleine ; les récits des aèdes épiques étaient plus développés, mais circonscrits encore dans des bornes très-étroites. Il n’y a donc nulle difficulté à croire que les aèdes composaient mentalement, sans avoir besoin du secours de l’écriture pour fixer leur pensée. Leurs poëmes étaient recueillis dans la mémoire des auditeurs, surtout dans celle des disciples ; l’écriture n’était pas indispensable pour les conserver, pour les transmettre aux générations futures. Est-ce à dire pourtant qu’on ne les consignât jamais par écrit, ou même que l’écriture fût inconnue au temps des aèdes et depuis encore ? Est-il possible d’expliquer, sans l’intervention de l’écriture, je ne dis pas seulement la conservation, la transmission de poëmes immenses, tels que l’Iliade et l’Odyssée, mais leur composition même ?

On affirme avec raison que le chant, et en particulier le chant épique, était la nourriture morale des contemporains d’Homère et comme leur pain de chaque jour. On affirme aussi, mais bien gratuitement, que la curiosité passionnée des peuples, la vigoureuse imagination des poëtes et leur mémoire non moins énergique, enfin l’amas des matériaux poétiques accumulés d’âge en âge, suffisent pour rendre compte de la naissance d’une Iliade ou d’une Odyssée. Le poëte, Homère par exemple, exécutait l’une après l’autre, sur un plan conçu d’un seul jet, les différentes parties d’une vaste épopée ; il les récitait à mesure, en les rattachant toujours à ce plan, et il se continuait ainsi lui-même, dans une suite de journées, intéressant jusqu’au bout les auditeurs, captivés et par l’enchaînement même du récit et par les charmes de la poésie. Les disciples, dit-on encore, étaient là, poëtes eux-mêmes,