Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
34
CHAPITRE III.

même, à ce titre, était un stichode et un rhapsode ; et Platon a pu dire qu’il courait le monde en rhapsodant ses vers. Ceux qui ont établi, dans l’Iliade et dans l’Odyssée, la division en vingt-quatre parties, et qui ont laissé le nom de rhapsodie à chacune d’elles, ne songeaient nullement à rappeler par ce mot un système particulier de composition littéraire. Ils n’ont vu que le mode de récitation, ce cours continu des vers, qui coulent d’un bout à l’autre de chaque chant, de chaque poëme, toujours semblables, toujours conformes au même principe, comme le flot tient au flot et le pousse devant lui.


Décadence des Rhapsodes.


Que si les anciens rhapsodes se piquaient encore de poésie, cette passion plus ou moins heureuse ne troublait plus guère le cœur des rhapsodes du temps de Socrate et de Platon. Le divorce alors est presque complet entre la Muse et les interprètes de ses œuvres. Le rhapsode n’est qu’une sorte d’acteur, un histrion dans son genre. Ion d’Ephèse est l’écho de la voix d’Homère, et un écho harmonieux ; mais il n’est pas autre chose. Socrate lui peint admirablement le peu qu’il est, au prix de ce qu’il se croit lui-même : « Ce talent, dit-il au rhapsode[1], que tu as de bien parler sur Homère, n’est point en toi un effet de l’art, comme je le disais à l’instant : c’est une force divine qui te transporte, semblable à celle de la pierre qu’Euripide a nommée magnétique, et que la plupart nomment héracléenne[2]. Cette pierre, non-seulement attire les anneaux de fer, mais elle leur communique la vertu de produire eux-mêmes un effet pareil, et d’attirer d’autres anneaux. En sorte qu’on voit quelquefois une longue chaîne de morceaux de fer et d’anneaux suspendus les uns aux autres, qui tous empruntent leur vertu de cette pierre. De même aussi la Muse inspire elle-même le poëte ; le poète, à son tour, communique à d’autres l’inspiration divine, et il se forme une chaîne d’hommes inspirés. » Et plus loin : « Vois-tu à

  1. Platon, Ion, chapitre V, page 553 des œuvres.
  2. L’aimant, qui se trouvait prés de Magnésie et d’Héraclée, villes de Lydie.