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CHAPITRE XXXIII.

contre Verrés, contre Antoine. Mais on remarque quelque parure dans son discours. L’art y est merveilleux, mais on l’entrevoit. L’orateur, en pensant au salut de la république, ne s’oublie pas et ne se laisse point oublier. Démosthène paraît sortir de soi, et ne voir que la patrie. Il ne cherche point le beau, il le fait sans y penser ; il est au-dessus de l’admiration. Il se sert de la parole, comme un homme modeste de son habit pour se couvrir. Il tonne, il foudroie ; c’est un torrent qui entraîne tout. On ne peut le critiquer, parce qu’on est saisi : on pense aux choses qu’il dit, et non à ses paroles. On le perd de vue ; on n’est occupé que de Philippe, qui envahit tout. Je suis charmé de ces deux orateurs ; mais j’avoue que je suis moins touché de l’art infini et de la magnificence de Cicéron que de la rapide simplicité de Démosthène. »


Ironie de Démosthène.


Je ne ferai point ici l’énumération des qualités que les critiques de tous les temps ont signalées dans les discours de Démosthène. Je remarquerai seulement que Démosthène, qui platonise si souvent, et qui exprime avec tant de noblesse les plus pures et les plus hautes doctrines morales, est de tous les orateurs celui qui a manié avec le plus de puissance l’arme terrible du ridicule. Son ironie est comme un poignard qu’il tourne et retourne, avec une infernale complaisance, dans la poitrine de son ennemi. Certes, Eschine avait dû faire rire plus d’une fois aux dépens de Démosthène, même quand il le nommait subtil jongleur, coupeur de bourses, bourreau de la république. Mais aussi quelle vengeance ! Voyez Démosthène s’emparant de la maladroite apostrophe à la Terre, au Soleil, à la Vertu, et faisant à sa façon l’histoire d’Eschine et celle de sa famille. Depuis longtemps le pauvre maître d’école et la joueuse de tympanon étaient morts et oubliés. Démosthène les fait revivre, et sous quels traits encore ! Atromète, c’est-à-dire Intrépide, nom qu’Eschine donnait à son père en signant le sien, devient Tromès, c’est-à-dire Trembleur ; et Tromès est un esclave, et le plus vil des es-