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ESCHINE. DÉMOSTHÈNE.

J’ai fait plus encore. En ne me laissant pas corrompre à prix d’argent, j’ai vaincu Philippe ; car, de même que l’acheteur triomphe de celui qui se vend et qui reçoit le prix de la vente, de même l’homme resté pur et incorruptible triomphe du marchandeur. Par conséquent Athènes, dans ma personne, est invaincue. »


Style de Démosthène.


On a comparé l’orateur politique à cet homme qu’une main irrésistible pousse en avant, qui marche sans cesse, qui ne peut s’arrêter, qui ne peut que respirer en passant le parfum des fleurs. C’est bien à Démosthène que s’applique cette image. Il s’abandonne quelquefois à des mouvements hardis, ou fait des peintures brillantes ; mais toujours et partout on sent que c’est une démonstration qu’il poursuit, et que ces peintures, que ces mouvements, sont des arguments dans leur genre et concourent à la grande œuvre de la persuasion. Le style de Démosthène n’a pas même, comme celui d’Eschine, ces ornements demi-poétiques qui visent surtout à charmer. C’est par le tour, par l’élan de la pensée, par le choix et la position des mots, qu’il se rapproche de la poésie ; et l’on sent en lui quelque chose du maître qu’il s’était donné, de ce Thucydide dont nous avons analysé ailleurs la puissante manière. Démosthène, c’est Thucydide devenu orateur politique, et avec les différences profondes de caractère, d’idées, et même de diction, que suppose ce passage des temples sereins de la sagesse au monde orageux des passions et des rivalités jalouses.

On a souvent comparé Démosthène et Cicéron ; mais Fénelon est de tous les critiques celui qui a le mieux montré pourquoi il était permis de préférer Démosthène : « Je ne crains pas de dire que Démosthène me paraît supérieur à Cicéron. Je proteste que personne n’admire plus Cicéron que je fais : il embellit tout ce qu’il touche ; il fait honneur à la parole ; il fait des mots ce qu’un autre n’en saurait faire ; il a je ne sais combien de sortes d’esprit ; il est même court et véhément toutes les fois qu’il veut l’être, contre Catilina,