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LES RHAPSODES.

contiennent certainement la définition : ῥαπτῶν ἐπέων ἀοιδοί[1] Mais beaucoup entendent autrement ce passage. Suivant eux, la rhapsodie était plus qu’une méthode de récitation : les rhapsodes étaient des couseurs de chants épiques ; ils rattachaient les uns aux autres, par des transitions de leur fabrique, les morceaux divers qu’ils débitaient dans la même séance. Je n’ai pas besoin de remarquer que c’était là une tâche souvent impossible, et presque toujours d’une infinie difficulté, à moins que les rhapsodes ne se contentassent de transitions dans le genre de la finale des proèmes, que j’ai citée tout à l’heure ; et la suture, dans ce cas, ne serait guère digne de son nom.

J’admets un instant le travail de raccord attribué aux rhapsodes ; j’admets même, si l’on veut, que ces artistes étaient des hommes de génie. Ce qui sortait de leurs mains. pouvait n’être pas sans mérite ; mais ce n’étaient en somme que des pastiches, dans toute la force du terme, que de véritables pièces de marqueterie. L’unité manquait à ces œuvres ; je dis cette pensée première qui est l’âme d’un poëme, et qui rayonne, plus ou moins aperçue mais toujours vivante, jusque dans les capricieux détails qui semblent ne relever que de la fantaisie. En tout cas, ce n’est point de morceaux rapiécés ainsi qu’ont été formés les poëmes homériques. L’unité, dans l’Iliade et dans l’Odyssée, est aussi visible que le jour.

Mais la rhapsodie n’était réellement que la récitation d’une suite de vers d’égale mesure, liés, ou si l’on aime mieux cousus, les uns aux autres d’une façon uniforme. Aussi ce nom s’appliquait-il non-seulement à la récitation des poésies épiques, mais à tout ce qui était dans des conditions analogues de régularité. Tous les chants composés en vers hexamètres, tous les chants composés en ïambes avaient leur rhapsodie. Enfin le mot rhapsode était souvent remplacé, dans l’usage, par celui de stichode, comme qui dirait chanteur de vers simples, non combinés en systèmes, et purs de tout alliage avec des vers d’autre mesure qu’eux. Homère lui-

  1. Néméennes, ode III, vers 1. [Remarque de Wikisource : il s’agit en réalité de l'ode II, voir la deuxième ligne de cette ode.]