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ORATEURS DU QUATRIÈME SIÈCLE AV. J. C.

exprimés sous les formes les plus parfaites, et dans une prose dont la cadence enchante l’oreille et l’âme. Oublions la diatribe de Fénelon et les exagérations de Longin. Reconnaissons que pas un écrivain n’a mérité mieux qu’Isocrate d’être compté au nombre des classiques. Rectifions et complétons nos jugements. N’insistons plus si rudement sur des défauts peut-être imaginaires, en tout cas moins graves qu’on ne le crie ; et faisons amende honorable à toutes ces qualités merveilleuses et charmantes que nos préventions nous empêchaient d’apercevoir. Pour ma part, je rends les armes, et sans aucune arrière-pensée. Comment nier encore le génie d’Isocrate, n’eût-on lu de l’étude littéraire de M. Havet que ce que je vais transcrire ? Il ne s’agit pourtant que de style et de diction :

« La phrase d’Isocrate se recommande plus encore par la période que par l’image ; elle est ce qui tient le plus de place dans son art, et ce qui faisait la principale nouveauté de son talent. La période est née de ce que j’appellerai le développement, car je ne veux pas me servir du mot d’amplification, qui a été déshonoré. Le développement est aussi fécond que l’amplification est stérile. Il ne multiplie pas seulement les mots, il ouvre une idée et lui fait produire tout ce qu’elle contient en elle et qui ne paraissait pas d’abord. Seulement cette abondance même n’apporterait que confusion, si elle n’était pas ordonnée : il faut que les détails se distribuent en groupes distincts, dont chacun ait comme un centre vers lequel l’esprit soit ramené par la marche même de la phrase. Voilà ce que fait la période. Le mouvement général de la pensée dans le discours tout entier se compose de la suite des mouvements moins étendus qu’elle accomplit successivement dans l’en-ceinte de chaque période, comme la terre achève une révolution sur elle-même à chaque pas qu’elle fait dans l’orbite qu’elle décrit autour du soleil. Le nombre est inséparable de la période. Naturellement tout mouvement large se cadence ; la parole solennelle devient d’elle-même un chant. Et, comme Isocrate a passé tous les orateurs dans l’éloquence d’apparat, il est aussi le premier par le nombre, et c’est toujours à lui qu’on en rapporte l’honneur. Sa phrase rassemble dans la