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CHAPITRE XXXII.

la touchante notice qu’il avait autrefois consacrée au souvenir de son ami. Ceux qui ont connu personnellement Auguste Cartelier le retrouvent là tout entier, tout vivant. Ce ne sont pas eux qui taxeront d’illusions les témoignages du biographe sur cette nature si belle et si noblement douée. Ce ne sont pas non plus les lecteurs du discours sur l’Antidosis qui songeront à mettre en doute le talent d’Auguste Cartelier. Son travail est excellent. Cette copie de l’antique est égale ou supérieure à ce qu’on vante le plus en fait de traductions. On n’a jamais été ni plus fidèle, ni plus précis, ni plus élégant, ni plus grec en meilleur français.

Le travail de l’éditeur est considérable, plus considérable que celui du traducteur même. Une longue introduction, ou plutôt un véritable ouvrage, sur le caractère et le génie d’Isocrate, et sur l’importance du discours traduit par Auguste Cartelier ; un commentaire philologique où toutes les difficultés du texte sont signalées, discutées et éclaircies : c’est la moitié au moins du volume, et cette moitié est de la main de M. Havet. On reconnaît dans les notes cet esprit sain, net et libre, cette science et cette conscience que M. Havet porte partout avec lui, et dont ses études sur le texte des Pensées de Pascal sont un si admirable monument. C’est bien là cette philologie qui voit autre chose dans les mots que des syllabes et des sons, et qu’il nous peint éloquemment lui-même comme l’exercice des plus nobles facultés intellectuelles : « La vraie érudition sait, de la lettre morte, tirer la vie, et des débris du passé faire des instruments au service de l’avenir. » Ceci n’est pas une vaine formule, une simple phrase à effet ; c’est la pratique même du philologue ; et ce que M. Havet préconise, c’est l’art où personne n’a plus que lui excellé.

L’introduction est un autre chef-d’œuvre en son genre. Ce n’est que depuis que j’ai lu ces belles pages que je sais ce que c’est qu’Isocrate. M. Havet est entré au plus profond de l’homme, du politique, de l’artiste, et a ranimé cette imposante figure. Nous ne demanderons plus désormais à Isocrate où est son éloquence. M. Havet nous a fait voir qu’à côté de l’éloquence de Démosthène, il y en avait une autre, et quelle était cette autre : de hautes pensées, des sentiments vrais,