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ORATEURS DU QUATRIÈME SIÈCLE AV. J. C.

« Je prie ceux qui se chargeront de lire mon discours, de le débiter comme un ouvrage qui contient des éléments divers et d’un style approprié aux différents sujets qui y sont traités. Je les engage à porter toujours leur attention sur ce qui va être dit, plutôt que sur ce qu’on vient de dire ; surtout à ne pas vouloir absolument le lire tout d’un trait, mais à le ménager de façon qu’ils ne fatiguent pas l’attention des auditeurs. C’est en suivant ces recommandations que vous pourrez bien voir si je n’ai pas trop perdu de mon talent. »

La forme oratoire était commandée par le mode même de publicité. Une discussion simple et nue, un mémoire justificatif conformé à nos idées, se fût assez mal prêté à la solennité d’une représentation quasi dramatique. D’ailleurs les Grecs aimaient avant tout ce qui leur rappelait les luttes de la parole ; et il y avait longtemps que les sophistes leur avaient montré pour la première fois des accusés fictifs plaidant pour leur vie dans des causes imaginaires. La seule différence qu’il y ait, c’est que, dans l’Antidosis, l’orateur et l’accusé ne font qu’un ; et ceci est tout à l’avantage d’Isocrate : si la forme est factice, le fond du moins est sérieux ; une émotion réelle anime la diction, et plus d’une fois le sentiment s’échappe en accents d’une vraie éloquence. M. Havet signale notamment à notre admiration ce beau passage où le vieillard annonce qu’il va défendre sa philosophie, c’est-à-dire les principes de rhétorique qu’il enseignait aux jeunes gens : « J’aimerais mieux mourir à l’instant même, après avoir parlé d’une manière digne de mon sujet et vous avoir donné de l’art du discours l’opinion qu’il mérite qu’on en conserve, que de vivre encore une longue vie pour le voir prisé comme on le prise aujourd’hui parmi vous. » C’est bien le cœur d’Isocrate qui parle ici. Un tel langage, c’est l’âme même de cet homme qui était, depuis un demi-siècle et plus, la personnification des études libérales et du talent de bien dire. Les auditeurs devaient applaudir ; mieux encore, s’attendrir sur lui, avec lui. M. Havet le pense, et M. Havet a raison de le penser.

Le plus grave inconvénient de la forme adoptée par Isocrate, c’est de provoquer de temps en temps le souvenir des