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ORATEURS DU QUATRIÈME SIÈCLE AV. J. C.

deniers comptants, et fort cher. Il amassa des richesses immenses, et il n’en fit pas toujours un très-bon usage. Le succès extraordinaire de son enseignement et de ses écrits lui fit des jaloux, non pas seulement parmi les sophistes et les orateurs, mais parmi les philosophes mêmes. On prétend qu’Aristote et Xénocrate n’en pouvaient prendre leur parti, et que ce vieillard bel esprit leur était particulièrement insupportable. On dit même qu’Aristote parodiait à son adresse ce vers du Philoctète d’Euripide : « Il est honteux de se taire, et de laisser parler les barbares. »


La rhétorique d’Aristote et la rhétorique d’Isocrate.


Que si Aristote n’éleva point école contre école, et s’il n’écrivit sa Rhétorique qu’assez longtemps après la mort d’Isocrate, il n’est pas moins vrai qu’Aristote s’est proposé, dans cet ouvrage, de réconcilier l’art oratoire avec la philosophie, et de l’arracher à ce grossier empirisme où l’avait maintenu Isocrate à l’exemple des sophistes, ses maîtres. Aristote a fait de la rhétorique une partie de la science de l’homme ; il l’a fondée, non plus sur des artifices et des tours de main, mais sur des principes élémentaires et universels. Il a montré que l’art était autres chose que l’artifice. En définissant la rhétorique une dialectique du vraisemblable, une dialectique populaire et politique, il en a donné l’idée la plus complète et la plus satisfaisante que jamais rhéteur ait trouvée. Il a fait la théorie du raisonnement oratoire, et analysé profondément les idées qui rendent compte de la plupart de nos déterminations et de nos jugements. Il a décrit ce qu’on appelle les mœurs, avec une exactitude et une finesse admirables. Il a marqué non moins heureusement les vrais caractères du style oratoire, et il ne s’est pas borné, comme tant d’autres, à des phrases vides et creuses, ou à une interminable énumération des figures de pensées et de mots. La langue de l’orateur, selon lui, c’est la langue du raisonnement ; et le meilleur style, c’est celui qui nous apprend le plus de choses, et qui nous les apprend le mieux. Mais la Rhétorique est venue un peu tard, et quand l’éloquence poli-